Après l'analyse du rôle de ces gentlemen je m'attaquerais à ces dames. Car il ne faudrait pas l'oublier, celles-ci tiennent la première place à la fois dans l'esprit de l'auteur mais aussi dans ses romans. S'il est juste de dire que les oeuvres de Jane Austen ne sont rien sans ses personnages masculins, nous nous attachons avant tout à la ou les héroïnes, à leur destin, leurs joies ou leurs peines. Que serait Edmond sans Fanny? Darcy sans Lizzie? ou Frederick Wentworth sans Anne Elliot?
Laissez-vous guider dans cette nouvelle galerie de portrait purement féminine.
Je ne m'attarderai pas sur les figures de femmes (mères ou tantes) qui peuplent le monde de Jane. Toutefois je m'y arreterai un instant car à la différence des figures de pères ou d'oncles qui sont le plus souvent absents quand ils ne sont pas inexistants, les femmes, elles, quelles qu'elles soient ont une importance capitale.
On peut remarquer tout d'abord que les personnages de mères et de tantes sont beaucoup plus étoffés et nuancés que ceux de pères et d'oncles.
On pourrait dire sans se tromper que nous avons tout un bataillon de mères ou de tantes qui posent tous un tas de problèmes. Au lieu d'aider et de conseiller les héroïnes, elles les gênent plutôt. C'est évidemment le cas de Mrs Bennet dans Pride and Prejudice qui par son comportement gâche les chances de ses filles de se faire épouser. Elle ne se trouve pas être un obstacle par choix mais par circonstance, c'est le cas aussi de Lady russell de Persuasion qui par ses mauvais conseils gâche huit ans de la vie de sa protégée Anne. Là encore la mauvaise intention n'y était pas. En revanche, il n'en va pas de même pour Aunt Norris de Mansfield Park, de Lady Catherine de Bourg dans Pride and Prejudice ou de Mrs Ferrars et sa fille Mrs Dashwood dans Sense and Sensibility. Elles sont clairement là pour affronter la (ou les) héroïnes soit parce qu'elles ne les aiment pas, soit parce qu'elles menacent leur intérêt ou celui de leur famille ou encore les deux le plus souvent (CQFD).
Nous retrouvons ensuite les femmes-aide, celles qui au contraire sont là pour guider ou entourer l'héroïne. Elles s'acquittent de cette tâche plus ou moins bien mais le font toujours avec coeur comme mrs Jennings de Sense and Sensibility, Mrs Gardiner de Pride and Prejudice, Mrs Bertram de Mansfield Park et Mrs Allan de Northanger Abbey.
Certaines mère sont absentes mais leur absence elle-même est significative comme pour Mrs Elliot (la mère de Anne) et Mrs Tilney dont on parle beaucoup tandis que Mrs Price de Mansfield Park ou Mrs Morland de Northanger Abbey.
Enfin on pourrait parler des figures de Soeurs qui peuplent le monde de Jane à l'image de sa soeur Cassandra: Jane-Lizzie de Pride and prejudice, Elinor-Marianne de Sense and Sensibility, William Price qui fait figure de remplacement et Eleanor Tilney de Northanger Abbey.
Après ce préambule, je vous propose de passer aux figures féminines majeures.
Le plus important à voir pour les personnages féminins, c'est qu'ils sont plus variés et beaucoup plus nuancés que leurs omologues masculins. Cela tient surtout au fait qu'elles occupent une place centrale dans chaque roman et que Jane de ce fait leur accorde souvent plus de profondeur et donc de diversité. Jane en reine de l'observation dépeint à coup de génie, les membres de son sexe.
Comme pour les personnages masculins on pourrait les diviser en trois catégories. Elles seront toutefois nuancées et détaillées.
De même comme pour les personnages masculins ces trois catégories ne se retrouvent pas toujours toutes en même temps dans un roman. Enfin on peut dégager deux catégories positives et deux catégories négatives.
Tout d'abord, on peut distinguer une première catégorie d'héroïnes fortes qui bien que puissantes moralement ne domine pas dans figures féminines. Elles sont même en nombre inférieur. Je n'ai pas d'explication à cela, peut être que ce genre de personnages passaient moins bien à l'époque de Jane. Si quelqu'un a une théorie je suis tout ouïe. Ce sont donc des héroïnes fortes qui s'imposent par leur conviction et leur passion. Jamais en retrait on ne peut pas les oublier du récit et leur dynamisme pousse les autres personnages dans leur spirale. Impossible de rester indifférent en face d'elle. Certes elles sont différentes, elles n'ont ni les mêmes passions, ni les mêmes défauts mais elles ont le point commun d'être le centre de l'attention au détriment parfois d'autres personnages.
Marianne Dashwood de Sense and Sensibility. Passionnée et exaltée, Marianne fait de l'ombre à Elinor et son aventure avec le beau Willoughby détourne l'attention d'Elinor et d'Edward. Personnage extravagant dont Jane n'hésite pas à se moquer, elle l'a remet dans le droit chemin mais lui évite toujours d'être ridicule. La jeunesse et son impulsivité incarnée.
Elizabeth Bennet de Pride and Prejudice. Evidemment, lorsqu'on parle de personnage fort, inévitablement l'image de la vive et délicieuse Lizzie nous saute aux yeux. Comment expliquer que ce personnage rallie tous les suffrages (même si Pride n'est pas le livre préféré de toutes et tous)? Peut être sa personnalité si attachante et si vraie. Lizzie ne mâche pas ses mots, a du caractère mais surtout, surtout elle prend vite l'apparence d'une amie intime pour le lecteur. Comme si de l'intérieur du roman elle pouvait nous abreuver de conseils malicieux comme si nous étions sa douce Jane...
Emma Woodhouse d'Emma. Voila un autre personnage fort mais bien différent des deux premiers. Pas de passion à la Daswood, ni de malice à la Bennet chez Emma, mais une forte conscience d'elle même et de ce qu'elle vaut. Sa manie de vouloir diriger la vie des autres et son assurance en font un personnage volontaire et audacieux.
La série est déjà close. Si peu de personnages de ce style. Peut-être se suffisent-ils à eux même? En tout cas la seconde catégorie plus remplie et autant nuancée porte aussi de magnifiques portraits de jeunes femmes.
Ce sont principalement des personnages doux et effacés. Parfois elles restent dans l'ombre, sortant juste un peu la tête pour achever une histoire. Mais parfois, elles évoluent et prennent leur vie en main. Elles sont souvent plus proches du lecteur car moins romanesque que les "parfaites" Lizzie, Marianne et Emma, mais plus vraies, féminines dans leur doute leur hésitation, leur naïveté et leurs amours.
Elinor Dashwood de Sense and Sensibility. Une mmauvaise langue pourrait dire qu'Elinor est une mère sacrifice. En réalité, elle compense et ce de façon bénéfique, l'excentricité et la lourde présence de Marianne. Elle est le personnage qui calme, qui ramène les choses à l'essentiel et qui a la bonté de ne pas se plaidre ce qui repose le lecteur des plaintes de Marianne. Au final elle gagne la sympathie du lecteur et donne une note de fraicheur et d'espoir au roman un peu moraliste sans doute.
Jane Bennet de Pride and Prejudice. Le rôle de Jane est à peu près celui d'Elinor même s'il est moins appuyé. Il permet de contrebalancer une Lizzie volontaire et un couple Lizzie-Darcy assez imposant et explosif. Avec Bingley elle apporte une touche de douceur très féminine qui manque parfois à sa soeur. Non pas faire valoir de Lizzie, Jane est à part entière. Elle a son relief et une facilité à attirer la sympathie tout comme le fait Elinor en restant humble et ce qui est d'autant plus facile, la complicité entre Lizzie et elle, nous range vite de l'avis de Lizzie. Jane est la meilleure personne au monde.
Fanny Price de Mansfield Park. Elle mériterait avec sa congénère Anne Elliot une catégorie à part car contrairement à Jane Bennet et Elinor Dashwood, elle n'a pas de soeur à contrebalancer. Fanny Price se contente d'être elle-même et grand bien lui en fit. C'est un personnage double. Double parce que d'un côté elle est effacée, timide et soumise à la famille Bertram, de l'autre côté seule ou avec Edmund elle se montre vive, éveillée, et surtout intelligente car elle seule pressent que les Crawford vont bousculer sa vie et celle de Mansfield Park. De plus, c'est un personnage qui évolue et qui s'affirme au fil des pages.
Anne Elliot de Persuasion. C'est un personnage très proche de Fanny Price. Effacée et soumise à sa famille qui ne la considère pas, elle se réveille à l'annonce de l'arrivée de Frederick Wentworth. Elle balance, elle hésite un peu puis elle se place contre tous pour racheter son bonheur. Un personnage plein de pronfondeur mais qui ne la partage uniquement qu'avec le lecteur ce qui la lui rend intime.
Il faudrait à présent mettre à part un petit personnage atypique. Elle est hors catégorie, ni trop effacée ni trop forte. Il s'agit de :
Catherine Morland de Northanger Abbey. A la fois éveillée et vive, prompte à donner ses idées, la lecture tient le centre de son attention. Elle n'hésite pas à accuser le Général Tilney d'avoir tué sa femme. Cependant, elle possède une fraicheur et une naïveté qui l'empêche d'être aussi lucide et forte que Lizzie Bennet mais qui lui donne un charme tout particulier.
Enfin, il faudrait s'attacher aux figures féminines négatives, les "femmes-obstacles" : les "Hypocrites" ou les "Séductrices" et qui sont parfois les deux. Elles sont comme leurs homologues masculins souvent belles et apparament parfaites mais elles cachent le plus souvent des plans néfastes. Là encore nous mettrons quelques nuances. Nous ne pouvons pas dire que toutes les femmes-obstacles chez Jane le sont par appat du gain ou malice. Examinons cette galerie de portraits.
Ms Lucy Steele de Sense and Sensibility. C'est un personnage particulièrement néfaste car par jalousie, ne doutons pas qu'elle connait l'inclinaison d'Edward pour Elinor, elle rend Elinor complice d'un secret qui lui brise le coeur. Marianne lui reproche de ne jamais rien dire mais son sort est lié à un secret affreux. Lucy Steele permet de donner du relief à la foi à Edward et Elinor mais aussi à leur histoire. On pourrait dire aussi que Ms Sophia Grey fait aussi partie des femmes obstacles mais en vérité le choix entier n'appartient qu'à Willoughby et c'est bien lui et non pas Ms Grey qui brise le coeur et les rêves de Marianne Dashwood.
Lydia Bennet de Pride and Prejudice. Il est bien évident que Lydia n'est ni hypocrite ni attirée par l'argent mais par son comportement indécent et on pourrait même dire stupide, elle compormet l'avenir de ses soeurs, celui de Jane et celui de Lizzie.
Caroline Bingley de pride and prejudice. Elle aussi par son comportement empêche le mariage de son frère et de Jane, mais tente surtout de discréditer Lizzie aux yeux de Darcy. C'est un personnage fourbe car elle ne parle qu'en sous-entendu et en remarque blessante. Hautement détestable donc...
Mary Crawford de Mansfield Park. Elle est la réplique exacte de son frère au féminin. Belle et spirituelle elle séduit la famille mais ne s'intéresse qu'à la fortune des Bertram. La conversation qu'elle a après la fuite de son frère et de Maria ou elle explique que la chance peut-être les favorisera en faisant mourir Tom Bertram, ramène Edmund à la réalité. Son comportement permet là encore de créer Fanny et l'amour d'Edmund.
Jane Fairfax de Emma. La encore je mettrai une nuance comme Lydia Bennet. Sa dissimulation n'a rien de malhonnête, son personnage est même plutôt austère. De même la révélation de ses fiançailles avec Frack Churchill ne nuit pas à Emma puisqu'au final, elle n'aimait pas Franck Churchill. C'est donc un petit obstacle seulement.
Isabella Thorpe de Northanger Abbey. Personnage très comparable à Mary Crawford, elle est dans la séduction et l'intérêt. Elle est fausse et intéressée par l'argent. De plus elle a ce petit côté effrontée qui la rend particulièrement détestable.
Elizabeth Elliot/ Mary Musgrove/Mrs Clay de Persuasion. Ce sont des obstacles familiaux. Elles n'ont pas de vraie malice mais elles font obstacles car elles ne considèrent pas Anne Elliot, ou parce que leur égocentrisme étouffe l'héroïne. Le charme d'Anne Elliot tient dans ce qu'elle arrive à s'affranchir de ces présences particulièrement pesantes.
Les héroïnes féminines de Jane sont différenciées, nuancées mais surtout parfaitement portraiturées. Le talent d'observation de Jane Austen est parfaitement mis en valeur, et sa palette de couleur forme des personnages chatoyants et profonds.