mardi 29 octobre 2013

Le club Dumas ou l'ombre de Richelieu - Arturo Pérez Reverte


Présentation de l'éditeur: Lucas Corso, mercenaire de la bibliophilie et chasseur de livres, il reçoit de clients la double mission d'authentifier un chapitre manuscrit des Trois Mousquetaires et de déchiffrer l’énigme d'un étrange livre, Les neufs portes du royaume des ombres, brûlé en 1666, en même temps que son auteur, sur l'ordre du Saint-Office, et qui selon la légende permet de convoquer le diable. L'enquête de Corso se complique du suicide d'un célèbre éditeur de livres de cuisine, passionné par les feuilletons du XIXe siècle. Elle le mènera de Tolède à Cintra, au Portugal, et de là aux bouquinistes du quartier Latin à Paris.
Défilent d'insolites personnages, y compris une mystérieuse jeune femme qui suit Corso pas à pas, ainsi qu'un couple inquiétant qui semble sorti tout droit des Trois Mousquetaires, tandis que dans un endroit secret l'ombre du cardinal de Richelieu tire à travers le temps les fils d'une intrigue à mi-chemin entre la réalité et la fiction. 

Lire n'est jamais une occupation innocente. Un livre peut se transformer en un piège mortel, telle est la conclusion de cette histoire fascinante.

Je n'aime pas dire du mal d'un auteur, vraiment, surtout lorsque cet auteur à un talent réel d'écriture mais parfois c'est nécessaire. Je pense, en toute sincérité, qu'Arturo Pérez-Reverte doit arrêter d'écrire des romans policiers, c'est clair, il n'est pas fait pour ça. Comprenez-moi bien, je ne dis pas qu'il doit arrêter d'écrire, il a incontestablement une excellente plume et une façon de croquer ses personnages que j'ai rarement croisé ailleurs. Non, il n'est simplement pas bon dans le genre du roman policier.

Après ma lecture du Tableau du maître flamand, que j'avais apprécié malgré des défauts de construction de l'intrigue, une fin inutilement complexe et un langage parfois verbeux, j'avais très envie de continuer sur ma lancée et de découvrir d'autres romans du même auteur d'autant que l'on m'en conseillait plusieurs. Mon choix s'est donc rabattu sur Le club Dumas ou l'ombre de Richelieu et Le cimetière des bateaux sans nom. Devant le résumé du Club Dumas, j'ai eu une révélation. Il s'agissait du roman ayant inspiré Roman Polanski pour son film La neuvième porte que j'ai vu de nombreuses fois gamine puis adolescente. J'ai donc bien naturellement commencé par celui-là.

J'y ai retrouvé le côté rugueux du film, un personnage principal dur et antipathique à qui l'on finit par s'attacher malgré tout. C'est la grande force d'Arturo Pérez-Reverte, de créer des personnages uniques qui imprègnent ses récits. Ils sont extrêmement subtiles dans leurs caractéristiques, toujours très bien dosés et assez loin des clichés des personnages de romans policiers en général. Ici Corso est un être froid, calculateur mais pas sans morale. Il est complètement mort au niveau affectif et est efficace dans son travail justement parce qu'il met l'affect de côté. Lapin ou loup, ses descriptions oscillent souvent mais touchent toujours. La fille est elle-aussi parfaite dans son genre. Elle garde un détachement du début jusqu'à la fin ce qui, au lieu de la faire paraître superficielle, l’insère sans difficulté aucune dans le monde de Corso. Intrigante certes, mais finalement naturelle dans cet environnement étrange. D'ailleurs, Corso devine assez vite la nature de cette "Irene Adler" même s'il pense au départ à une plaisanterie. La Ponte est de son côté loin d'être le sidekick rigolo classique. Sidekick il peut l'être, drôle non.
Nous avons aussi les répliques de Rocheford et Milady que j'ai trouvé eux en revanche beaucoup plus caricaturaux ce qui n'est sans doute pas une surprise étant donné le rapprochement voulu entre Liana Taillefer et son garde du corps à cicatrice et les deux protagonistes des Trois mousquetaires.

On en vient à un deuxième et troisième points qui prouvent qu'Arturo Pérez-Reverte est un excellent auteur malgré tout ce que je vais vous balancer par la suite - voyez que je suis mal à l'aise de dire du mal. Je vis dans un monde de bisounours...et j'aime le polar...oui je sais, je suis une fille bizarre. Son récit commence à la première personne, racontée par Boris Balkan, professeur de littérature spécialiste des romans populaires du XIXe siècle. Plus largement Boris Balkan est un passionné de Cape et d'épée et en particulier de Dumas et de ses Trois mousquetaires. C'est là que l'on sent le véritable travail d'érudition de l'auteur. Ayant écrit Les aventures du Capitaine Alatriste on s'en serait douté mais nous en avons désormais la preuve. Il parle de romans qui ne sont plus édités, de feuilletons du XIXe siècle peu connus et de ce genre littéraire depuis les premiers ouvrages espagnols. Il montre également la même érudition dans les ouvrages consacrés au diable, même si celle-ci semble plus lourde et artificielle. Quant au monde des bibliophiles, des livres anciens et de leur restauration, là aussi il nous en met plein la vue.
D'un point de vue purement narratif, la rencontre avec Boris Balkan nous permet aussi un joli coup de style. En effet, comme je le disais, le récit commence à la première personne écrit par Balkan lui-même et nous racontant sa rencontre avec Corso qui vient lui demander conseil pour le manuscrit du Vin d'Anjou. Sauf que, retournement de situation, le récit passe ensuite à la troisième personne toujours raconté par Balkan mais d'après les évènements que lui a rapporté plus tard Corso. C'est assez original même si j'y mets une réserve du fait de la fin du livre qui donne à l'ensemble, quand on y pense, un côté bancal ou une facilité narrative qui a été déjà reprochée, dans son traitement, à plusieurs autres auteurs dont Agatha Christie elle-même. Si je dis ça c'est parce que Pérez-Reverte est conscient de cet artifice et qu'il n'hésite pas à aller au-delà du clin d’œil notamment à rappeler le procédé utilisé par la reine du polar. J'ai trouvé la filiation facile et pas forcément bien maîtrisée. 

Cette originalité narrative tombe donc un peu à plat à la fin du roman et en fait un artifice presque ridicule mais c'est sans doute plus imputable à la construction de l'intrigue elle-même qu'au style de Pérez-Reverte qui est pour le coup assez simple et moins bavard que dans Le tableau du maître flamand. L'intrigue est sans conteste le plus gros problème du roman et la qualité de l'écriture ne compense malheureusement pas cette faiblesse colossale pour un roman policier. Ce qui me fait dire que l'auteur n'est tout simplement pas bon pour le genre.

En fait, au niveau de l'intrigue, Le club Dumas est exactement l'excès inverse du Tableau du maître flamand. Souvenez-vous, je vous disais que l'intrigue première au sujet du tableau et du meurtre qu'il dévoilait était abandonnée dès le premier tiers du récit. Je regrettais donc une disparition beaucoup trop rapide d'une intrigue que j'aurai aimé voir conjointement menée avec celle de la partie d'échecs mortelle. Ici, c'est exactement l'inverse. Je ne sais pas si Arturo Pérez Reverte a voulu corriger les défauts du Maître flamand en écrivant Le Club Dumas (le premier date de 1990 le second de 1993, ils sont respectivement les romans numéro trois et quatre de l'auteur) mais il commet dans ce dernier toutes les erreurs inverses du premier. Comme quoi parfois il faut se méfier de ce que l'on souhaite.
Arturo Pérez Reverte commet le malheur de suivre deux lièvres à la fois: d'une part l'intrigue sur le Vin d'Anjou, ce chapitre des Trois Mousquetaires qu'on cherche à voler à Corso et d'autre part, l'authentification du livre Les neuf portes du royaume des ombres par comparaison avec les deux autres exemplaires connus de l’œuvre, le tout accompagné de vol, destructions de biens et de meurtres. Les deux intrigues sont entremêlées, ce que j'aurais voulu lire dans le Maître flamand, seulement là je ne vois pas DU TOUT l'intérêt de suivre ces deux intrigues. Pourquoi? Tout simplement parce qu'elles ne se rejoignent JAMAIS contrairement au lien qui était fait entre le tableau et les meurtres par le jeu d'échec dans le Maître flamand où une double intrigue avait sa place. Si Lucas Corso, le personnage principal essaye vaguement de combler les blancs pour que tout ait du sens, le lecteur se rend vite compte qu'il s'agit de deux intrigues séparées. Dès lors, l'abandon de l'intrigue Dumas, profondément inintéressante j'en ai peur, plus tôt dans le déroulement de l'action, aurait donné plus de suspense à la seconde intrigue sur le mystérieux livre écrit par le diable. Un filon ésotérique que l'auteur n'est même pas capable d'exploiter jusqu'au bout.
La révélation sur le mystère du Club Dumas tombe non seulement à plat mais est en plus longue et franchement sans intérêt. Il n'y a aucun enjeu et la résolution de l'intrigue me fait penser à une bombe qu'on désamorce par un pétard mouillé: "Quoi mais c'est ça la solution de l'énigme?" Tout ça pour se rendre compte qu'il n'y avait pas d'énigme, juste des zigotos complètement farfelus incapables de traiter une affaire marchande convenablement. Je ne précise pas que le "méchant" de cette intrigue là est bavard et pédant? Qui a dit "On dirait César?".

Maintenant je vous donne l'autre bonne nouvelle, l'intrigue sur la neuvième porte s'achève....en un chapitre, le dernier. Oui, puisque les autres sont consacrés à Dumas. La meilleure intrigue du roman liquidée en dix pages avec là au contraire presque aucune explication - heureusement que j'avais vu le film pour comprendre de quoi il retournait. Le chapitre s'appelle d'ailleurs "Diabolus ex machina" en référence à la ficelle de la solution miraculeuse. C'est exactement ça, une résolution bâclée et expédiée. A partir du dernier tiers du roman j'ai vraiment eu l'impression que l'auteur ne savait plus du tout où il allait et qu'il bâclait sa fin pour en finir plus vite, comme s'il avait écrit une intrigue sans penser à son dénouement. Pire, je le soupçonne d'avoir voulu faire un mystère littéraire sur Dumas, mais voyant que ça allait être dur d'intéresser le lecteur sur "les ghost writer" de Dumas (ce qui est quand même de notoriété publique) et de créer une intrigue à suspense, a rajouté celle sur le diable et son livre histoire afin de complexifier l'ensemble. Ça passe complètement à côté de son but, la fin est une torture à lire et elle ne résout rien.

Je me souvenais vaguement du film de Polanski que je n'ai pas vu depuis une dizaine d'année (mon adolescence me semble soudain très lointaine) et je me demandais pourquoi alors que les neuf portes me disaient bien quelque chose, je ne me souvenais absolument pas d'un mystère sur un manuscrit des Trois mousquetaires. J'ai la réponse, Polanski a tout simplement fait un choix d'adaptation et a supprimé la quasi totalité de cette intrigue là et reconverti certains personnages dans la seconde intrigue. Alors je n'ai pas encore revu ce film - mais je vais le faire vous vous en doutez - mais d'emblée ce choix me semble le plus logique du monde. Débarrassé de cette intrigue qui plombe le récit, le ralenti et fait tomber Corso dans de mauvais choix, le film se recentre sur l'essentiel et donne une explication, quoiqu'un peu confuse dans mon esprit, du mystère des neuf portes. Je vous en reparle très vite.

En attendant, Le Club Dumas s'avère être une grosse déception mais je ne perds pas espoir, il me reste Le cimetière des bateaux sans nom, le maître d'escrime, Le peintre de batailles et bien sûr Alatriste (dont on pourra reparler du film d'ailleurs...ou pas...) pour découvrir d'autres facette de cet auteur espagnol.

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