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mercredi 5 novembre 2014

L'appel du coucou / Le ver à soie - Robert Galbraith (J.K. Rowling)


Je pensais avoir déjà parlé du Cuckoo's calling de Robert Galbraith mais il semblerait que ma paresse de cette été m'en ait empêchée! Puisque la suite des aventures de Cormoran Strike vient de paraître en France chez Grasset, je me dis qu'il est grand temps de combler mon retard en vous parlant des deux romans à la fois: bande de veinards.

Pour ceux qui vivraient sur une planète différente de la planète Potter, Robert Galbraith est le nom d'emprunt de J. K. Rowling pour écrire du polar. Il ne doit pas être facile d'accéder à un statut de star planétaire de la littérature comme l'est J.K. Rowling. Il est vrai qu'elle est attendue au tournant, entre les fans qui veulent à tout prix du Harry Potter, ceux qui sont convaincus qu'elle ne sait pas écrire autre chose et les autres. On se rappelle les débats enflammés lorsqu'elle a publié Une place à prendre. Je trouve qu'elle a été assez culottée et futée d'écrire le premier tome des aventures de Cormoran Strike sous un nom d'emprunt et qui plus est un nom masculin car il faut se rappeler qu'avant que le mystère ne soit craqué, The Cuckoo's calling a reçu un très bel accueil par la presse et la critique littéraire. C'est un joli pied de nez qu'elle fait à ce milieu parfois impitoyable - si si, il y a un côté Dallas dans le monde littéraire anglais, il suffit de lire The Silkworm pour s'en convaincre. C'est une reconnaissance de son talent d'écrivaine, à sa plume qu'elle sait mettre au service de la littérature policière et jeunesse. 

Mais trêve de bavardage, il est temps de rentre dans le vif du sujet! 

Présentation de l'éditeur: Lorsque le célèbre mannequin Lula Landry est trouvée morte, défenestrée, dans un quartier chic londonien, l’affaire est vite classée. Suicide. Jusqu’au jour où John Bristow, le frère de la victime, frappe à la porte du détective privé Cormoran Strike. Cet ex-lieutenant de l’armée, revenu d’Afghanistan amputé d’une jambe, est au bout du rouleau : sa carrière de détective est au point mort et sa vie privée, un naufrage. Aidé par une jeune intérimaire finaude, virtuose de l’Internet, il reprend l’enquête. De boîtes de nuit branchées en palaces pour rock stars, Strike va passer de l’autre côté du miroir glamour de la mode et du people pour plonger dans un gouffre de secrets, de trahisons, et de vengeances.

Présentation de l'éditeur: Quand l’écrivain Owen Quine disparaît dans la nature, sa femme décide de faire appel au détective privé Cormoran Strike. Au début, pensant qu’il est simplement parti s’isoler quelques jours – comme cela lui est déjà arrivé par le passé –, elle ne demande à Strike qu’une seule chose : qu’il le retrouve et le lui ramène.
Mais, sitôt lancée l’enquête, Strike comprend que la disparition de Quine est bien plus inquiétante que ne le suppose sa femme. Le romancier vient en effet d’achever un manuscrit dans lequel il dresse le portrait au vitriol de presque toutes ses connaissances. Si ce texte venait à être publié, il ruinerait des vies entières. Nombreux sont ceux qui préféreraient voir Quine réduit au silence.
Lorsque ce dernier est retrouvé assassiné dans de mystérieuses circonstances, la course contre la montre est lancée. Pour mettre la main sur le meurtrier – un tueur impitoyable, tel qu’il n’en a encore jamais rencontré dans sa carrière –, Strike va devoir d’abord percer à jour ses motivations profondes. 

Je sais, il semble étonnant de vous parler des deux romans en même temps, cependant, au delà de leur intrigue, ils partagent des caractéristiques communes qui me semblent importantes de mettre en avant pour vous convaincre de découvrir les romans de Robert Galbraith / J. K. Rowling. Bien qu'ils ne révolutionnent pas le genre, ces deux romans sont la preuve que J.K. Rowling est une auteure efficace qui maîtrise parfaitement les codes du roman policier et surtout du Detective stories. Si vous aimez les romans d'Agatha Christie, vous allez aimer Robert Galbraith car on y retrouve tous ce qui fait le sel des romans de Lady Agatha. 

Cormoran Strike est un vétéran de la guerre d'Afghanistan, un colosse avec une jambe en moins qui le fait toujours souffrir. De plus, et pour ne rien arranger, il est le fils bâtard d'une star du rock qu'il n'a vu que deux fois dans sa vie. Cormoran ne manque pas de piquant! C'est un personnage immédiatement attachant en vérité. On se sent de connivence avec lui, avec ses difficultés notamment vis à vis de sa fiancée Charlotte à qui on aimerait casser les dents. C'est un homme méthodique et méticuleux qui reste un militaire malgré son nouveau métier de détective. 
Même s'il n'est pas Hercule Poirot, on sent bien des liens entre les deux, la façon qu'ils ont de sentir les évènements s'emboîter et de le faire sentir au lecteur sans que nous puissions comme eux faire le lien entre des indices plutôt évidents. 

À côté de Cormoran Strike, son assistante Robin a tout de la jeune fille dynamique digne des romans Christiens! En conflit avec son fiancé au sujet de son travail, j'ai trouvé le personnage très équilibré dans sa conquête, lente mais résolue, de son indépendance. Robin est efficace et elle forme avec Cormoran un couple déséquilibré mais génial. J'aime aussi le fait que Robin prenne de plus en plus d'importance et que leur relation s'équilibre ou du moins tend à s'équilibrer à la fin du deuxième tome. 

J'admire le talent de J.K. Rowling pour les intrigues policières. Elle le démontrait déjà dans Harry Potter cela dit. Elle a un véritable don pour emmêler les fils et multiplier les fausses pistes. The Cuckoo's calling aborde le milieu de la mode et la surexposition médiatique tandis que The Silkworm celui du monde littéraire britannique. Plus encore que de simples univers, J.K. Rowling offre à travers de "simples" intrigues policières une véritable critique de la société britannique en même temps qu'une peinture de celle-ci. Impossible de ne pas sentir que nous sommes à Londres et que l'auteure nous parle de cette société qu'elle connait bien. 

De la même façon, on retrouve la plume de la maman d'Harry Potter, son ton et son ironie mordante qu'on adore. Elle n'a rien perdu de sa verve.

The Cuckoo's calling et The Silkworm, en plus d'être deux romans policiers d'excellentes factures avec de bons rebondissements, de la surprise et deux personnages principaux attachants, sont une photo de la société et une critique vive de la surmédiatisation, du monde de la mode et de la compétition acharnée que se livre les auteurs en mal de reconnaissance.

Deux romans que je conseille donc, à tous les amoureux des Detective stories.

lundi 9 juin 2014

Trois mille chevaux vapeur - Antonin Varenne


COUP DE CŒUR DE PERSÉPHONE

Présentation de l'éditeur: Birmanie, 1852. Arthur Bowman, sergent le la Compagnie des Indes orientales est choisi pour accomplir une mission secrète durant la 2e guerre anglo-birmane. Mais l’expédition tourne mal et les hommes sont capturés et torturés pendant plusieurs mois. Seuls dix d’entre eux en sortiront vivants. Londres, 1858. Alors qu’il se noie dans l’opium et l’alcool, luttant avec ses fantômes, Bowman découvre dans les égouts le cadavre d’un homme mutilé. La victime semble avoir subi les mêmes sévices que ceux qu’il a endurés dans la jungle birmane. Persuadé que le coupable est l’un de ses anciens compagnons de captivité, Bowman décide de partir à sa recherche. Une quête qui s’achèvera douze ans plus tard, en 1864, sur les rives d’un autre continent.  À l’Ouest. Où une autre guerre a éclaté. Le chemin qui le mènera à la vérité sera aussi celui de sa rédemption.

Ce récit commence dans la moiteur de la chaleur Birmane, où le sergent Bowman est chargé d'une mission secrète qui ne se passe pas tout à fait selon le plan convenu. Dès les premières pages, nous sommes plongés dans cette grande fresque qui balaye l'Asie, l'Angleterre victorienne et l'Ouest américain jusqu'à la guerre de Sécession. C'est un récit flamboyant qui nous trimballe dans les méandres de l'esprit d'un homme brisé.

C'est un roman d'initiation, sur un homme qui a vu et fait des choses terribles et qui tente de trouver le repentir et la paix intérieure et ce n'est pas gagné d'avance. Arthur Bowman est un taiseux, ce n'est pas le genre de personnage ultra ouvert, ou ultra sympathique d'emblée, il est largement torturé. J'ai beaucoup aimé son parcours: d'un soldat qui suit les ordres, on passe progressivement à un homme qui vit dans ses propres cauchemars mais qui cherche à les exorciser. Il suit un lent processus mental très intéressant, se tournant vers la lecture, puis l'écriture en tenant un journal de ce qui lui arrive. 

Si Trois mille chevaux vapeur est un grand roman d'aventure, c'est aussi une histoire policière puisque ce qui déclenche tout, ce sont les meurtres commis à Londres. La barbarie mise en œuvre et le mot Survivre inscrit en lettre de sang dans les égouts qui ramène Arthur Bowman 6 ans en arrière, dans les cages des prisons birmanes. À partir de ce moment là, Bowman n'aura de cesse de retrouver, qui des 10 hommes qui étaient avec lui en Birmanie, a pu commettre de tels crimes. On s'enfonce alors dans les méandres des drames qui ont marqué la vie de chacun de ces hommes. Sur fond de roman policier, le lecteur est entraîné dans cette quête assez inhabituelle. Je dois dire que j'ai été bluffée. On sent bien qu'Antonin Varenne est un auteur de roman policier, il y a un vrai souffle qui nous tient en haleine. Au fur et à mesure que nous éliminons des pistes, l'étau se resserre, à la fois sur Bowman mais aussi sur le meurtrier. Je me suis faite avoir comme une bleue. J'étais persuadée d'avoir trouvé l'assassin mais rien ne me préparait au dernier tiers du roman. Entre Homesman et Trois mille chevaux vapeur, je trouve que je baisse drôlement la garde et ça fait du bien.

J'ai juste adoré le style d'Antonin Varenne. C'est dynamique, percutant, et renvoie le lecteur d'une noirceur à l'autre. Ses descriptions de la Birmanie, de l'Angleterre et des États-Unis de cette période sont très bien documentées et honnêtement j'ai cru me trouver dans un roman britannique ou américain. Je sors tout juste de Homesman et j'ai ressenti cette même force qui parcoure les deux récits.
Vous êtes irrémédiablement plongé dans l'ambiance de Trois mille chevaux vapeur. Antonin Varenne arrive sans aucun problème à décrire la noirceur du monde qui entoure Arthur Bowman ou bien la bonté qu'il rencontre parfois sur son chemin. La chaleur moite de la Birmanie vous colle à la peau, la puanteur de la Tamise vous donne envie de vomir et le whisky qu'Arthur ingurgite à longueur de journée vous tourne la tête. 

Les personnages qui gravitent autour de Bowman sont tous excellents aussi, avec leur mystère, leurs inquiétudes, leurs peurs. Alexandra Desmond, Peevish le prêcheur, L'indien blanc, les Fitzpatrick et tous les autres que Bowman croise sur son chemin, sont passionnants et nourrissent le récit des angoisses et bontés humaines.

C'est un vrai livre de cow-boy, plein de bad guy et de bonnes âmes charitables. Un grand roman, une superbe fresque d'un monde en mouvement dans lequel les vieux soldats doivent trouver leur place, une enquête palpitante, bref: le roman qu'il vous faut.

jeudi 29 mai 2014

Le duel - Arnaldur Indridason


Présentation de l'éditeur: Pendant l’été 1972, Reykjavík est envahi par les touristes venus assister au championnat du monde d’échecs qui oppose l’Américain Fischer et le Russe Spassky. L’Américain se conduit comme un enfant capricieux et a de multiples exigences, le Russe est accueilli en triomphe par le parti communiste islandais, le tout sur fond de guerre froide.
Au même moment un jeune homme sans histoire est poignardé dans une salle de cinéma, le magnétophone dont il ne se séparait jamais a disparu. L’atmosphère de la ville est tendue, électrique. Le commissaire Marion Briem est chargé de l’enquête au cours de laquelle certains éléments vont faire ressurgir son enfance marquée par la tuberculose, les séjours en sanatorium et la violence de certains traitements de cette maladie, endémique à l’époque dans tout le pays. L’affaire tourne au roman d’espionnage et Marion, personnage complexe et ambigu, futur mentor d’Erlendur, est bien décidé à trouver le sens du duel entre la vie et la mort qui se joue là.

Je n'avais jamais lu de roman d'Arnaldur Indridason et je ne connaissais que de nom sa série d'enquête d'Erlendur. Les noms suffisamment exotiques pour me croire dans une histoire de viking -THOR, MARTEAU...hum désolée, encore traumatisée par Thor 2 ou blondinet a encore oublié son cerveau - conjugué au fait que le livre abordait la guerre froide à travers le prisme de la partie d'échec entre Spassky et Fisher m'ont convaincue de le lire. Et puis ce n'est pas comme si je n'aimais pas les polars nordiques et que Le duel est un prequel à la série des Erlendur....Comment ça des excuses?

J'ai vraiment beaucoup aimé ce roman policier. Je lui ai trouvé de très nombreuses qualités, tant sur le plan narratif que stylistique. Le duel est aussi un roman sur la guerre froide et toutes les petites manigances qu'il pouvait y avoir de la part d'un camp comme de l'autre dans un pays neutre comme l'Islande.

L'ensemble est extrêmement bien dosé entre politique et crime. J'ai vraiment apprécié que l'intrigue policière ne soit pas reléguée au second rang et que finalement, la partie d'échecs, politique, souligne le récit comme un fil rouge. À travers les journaux, la radio, les informations qui circulent, le lecteur est presque dans la salle du match, sans pour autant quitter la scène de crime ou l'audition des témoins. C'est ce mélange subtile qui fait du Duel, un roman policier politique sans toutefois écœurer le lecteur. 
On en apprend aussi plus sur l'Histoire de ce pays assez mal connu - de moi en tout cas - et notamment ses liens avec le Danemark et les épidémies de tuberculose dans les années 40-50 qui conduisirent beaucoup de jeunes islandais dans les sanatorium danois. 

Ces très bonnes choses mises à part, je suis restée assez impressionnée par le personnage principal, Marion Briem. Il se trouve que pour nous les français, Marion est un prénom plus que courant et immédiatement définissable comme féminin...ce qui n'est pas le cas en islande ou Marion a l'air d'être plutôt rare. Je m'en suis rendue compte pendant ma lecture, lorsque par plusieurs fois, certains personnages ont fait référence à ce prénom de Marion comme étrange, ce à quoi Briem répond toujours que c'est le nom que sa mère lui a donné. 
De fait, du début à la fin du roman, on ne sait pas si Marion Briem est un homme ou une femme. Je tire mon chapeau à Indridason et à son•a traducteur•trice parce que jamais ceux-ci n'emploi d'adjectifs accordables en genre. À aucun moment, Marion Briem parle de lui/elle dans des termes qui nous laisseraient deviner qui il/elle est. C'est très étrange de se retrouver face à un personnage dont on ne sait où le placer sur un échiquier sexué. Ce n'est pas grave à bien des égards, c'est l'enquête qui importe après tout, mais il est du coup assez difficile de se représenter physiquement un personnage. Indridason compense ce "manque" par une bonne description psychologique de Marion. Je l'ai beaucoup apprécié•e et trouvé•e très touchant•e notamment dans sa relation avec son amie d'enfance. Ce côté là de l'intrigue a du coup éveillé ma curiosité puisqu'on ne sait pas vraiment si leur relation risque de choquer - je rappelle que nous sommes en 1972 - ou si elle risque d'être perturbante du fait de leur passé commun. 

Si Le duel ne parle pas d'échec au sens propre, il n'en reste pas moins qu'il retrace avec brio le fameux combat entre Fisher et Spassky et la personnalité des deux joueurs. Cette intrigue policière, sur fond de guerre froide et cet•te inspecteur•trice ambigu•e mais profond•e m'a beaucoup plu. À découvrir même si vous ne connaissez pas l'auteur! 

lundi 12 mai 2014

Le diable à Westease - Vita Sackville-West


Présentation de l'éditeur: «Pourquoi avoir choisi Mr Gatacre comme victime ? Je suppose que vous n'avez rien à lui reprocher ? - En partie parce qu'il était petit, frêle, facile à endormir... Et je ne tenais pas à ce qu'il souffre.»
Westease, adorable village de la campagne anglaise, préservé des horreurs d'une guerre encore toute fraîche, est bien tranquille... trop, peut-être ?
Lorsque Roger Liddiard, jeune et brillant romancier, s'y arrête au volant de sa Jaguar, il en tombe amoureux et décide de s'y établir, non loin du Professeur, vieux gentleman solitaire, du peintre Wyldbore Ryan, et de Mary Gatacre, la fille du révérend.
Voici que Mr Gatacre est assassiné, sans raison ni indice évidents... Liddiard brûle de résoudre l'énigme. Sans savoir à quel point sa propre responsabilité pourrait être engagée.

Publié en 1947 et traduit - ENFIN - en français, Le Diable à Westease est un petit bijoux de roman policier. 

J'adore Vita Sackville-West. J'aime le personnage d'abord, un brin excentrique, membre du groupe de Bloomsbury, intime de Virginia Woolf - promis je m'attaquerai un jour à leur correspondance - et le regard qu'elle porte sur sa propre société. J'étais assez impatiente de découvrir ce que son écriture mordante pouvait donner dans une intrigue à la Dame Agatha.

Il faut bien l'admettre, Le diable à Westease, c'est un Agatha Christie déguisé! Il lui manque un Hercule Poirot ou une Miss Marple mais les amateurs du genre se sentiront immédiatement dans leurs charentaises préférées. L'intrigue se déroule intégralement dans un petit village anglais perdu dans une campagne idyllique où il ne semble jamais pleuvoir. Hormis le pasteur, sa femme et sa fille, notre héros, un écrivain, rencontre un vieux Professeur dans son manoir ainsi qu'un peintre célèbre établi dans la région pour le calme et les paysages. Se mêlent alors une intrigue policière à une histoire d'amour entre le héros et la fille du pasteur. 

Ce qui m'a le plus séduite dans ce court roman est incontestablement le style de Vita Sackville-West. Elle a le chic pour les descriptions, les dialogues sont piquants et le roman est traversé de cet humour bien particulier qui caractérise l'auteure. L'humour noir n'est jamais loin et dans un polar de ce style c'est presque inattendu. Agatha Christie sait elle-aussi être très drôle mais lorsqu'elle utilise plutôt le grotesque pour se moquer de ses personnages - Poirot le premier - Vita Sackville-West se fait beaucoup plus incisive. 
Les personnages sont intéressants aussi et bien tranchés. Le récit se faisant à la première personne, c'est évidemment Roger dont nous sommes les plus proches mais cela n'empêche pas d'apprécier - ou de détester - les autres. Le professeur était intéressant avec ses longs monologues, ses explications un peu alambiquées mais celui que j'ai préféré est de loin le peintre. Roger le déteste presque instinctivement, du coup nous sommes toujours partagés entre ce sentiment et son exact opposé. Il est à la fois terriblement attirant et complètement repoussant, c'est assez étrange comme impression. Le lecteur est donc perdu entre faire confiance à l'instinct de Roger et l'importance de ne pas se fier au apparences. 

En plus du style j'ai littéralement adoré la résolution du mystère. Le lecteur va de rebondissements en rebondissements et c'est une excellente idée. La fin, telle qu'elle est conçue, permet au roman d'être véritablement original, Vita Sackville-West noie le poisson avec brio.

Je regrette simplement une petite chose: chez Dame Agatha, lorsque l'action se passe dans un village, vous pouvez être sûr•e qu'à la fin du roman, vous pouvez vous le représenter dans ses moindres détails: rues comme habitants. Malheureusement ici, le récit est assez pauvre en "vie de village". Les personnages principaux sont assez concentrés, il n'y a pas vraiment d'intrigue secondaire puisque tout est resserré autour du meurtre du pasteur. Certes, elle évite les écueils des récits alambiqués mais on perd quand même un peu de ce qui fait le charme de ces petits "whodunnit" à l'anglaise. Cependant, il s'agit là d'une critique de chipoteuse, je l'ai englouti avec une rapidité qui m'étonne moi-même.

Si vous êtes à la recherche d'une lecture divertissante, légère mais qui sait piquer votre curiosité et ne jamais vous lâcher, pas de doute, Le diable à Westease est fait pour vous. Comme en plus il est traduit en français...il n'y a plus d'excuses à avoir. Allez, taisez-vous, je ne veux rien savoir!

mercredi 23 avril 2014

Intrigue à Giverny - Adrien Goetz


Présentation de l'éditeur: Et revoici Pénélope, l’intrépide Pénélope, dans le tourbillon d’une enquête pleine de mensonges, de meurtres et de Monet. Alors que la fameuse conservatrice-détective assiste à un dîner au Musée Marmottan-Monet, deux fines connaisseuses de l’œuvre du grand peintre impressionniste disparaissent. Le lendemain, l’une est retrouvée morte alors que l’autre, une religieuse du nom de sœur Marie-Jo, est aperçue à Monaco par Wandrille, le compagnon de Pénélope - Monaco où doit avoir lieu l’achat d’une toile inédite de Monet pour célébrer le mariage du prince Albert et de Charlène.
Qui est la mystérieuse sœur Marie-Jo ? Pourquoi la Principauté ? Et qui a tué Carolyne Square ?  Pénélope et Wandrille courent de Charybde en Scylla et de Giverny à Monaco pour tenter de résoudre ce mystère. L’amitié de Monet avec Georges Clemenceau va soudain prendre sens. Quelle a été l'étrange vie du paisible M.Monet ?

Pénélope et Wandrille reviennent chez Adrien Goetz pour une nouvelle intrigue. Après Intrigue à l'anglaise, Intrigue à Versailles et Intrigue à Venise, le lecteur est plongé dans le mystère de Giverny et de la vie de Monet. 

J'aurai dû aimer Pénélope et Wandrille. Tout d'abord, parce que je suis conditionnée pour aimer les intrigues de ce genre qui empruntent à Agatha Christie, Maurice Leblanc ou Georges Simenon. Ensuite parce que je ne suis pas censée résister à une héroïne qui s'appelle Pénélope et qui est conservatrice. Mystère + histoire + une Pénélope, je devais aimer....et bien non.

Quelle cruelle déception, ça me rend triste tient! C'est toujours désolant d'être déçu par un roman. Je n'avais pas lu les premiers opus mais ce n'est pas ça qui m'a dérangée. J'ai vite compris les relations qui unissaient Pénélope et Wandrille, que ce dernier était fils de ministre récemment retourné au pouvoir et qu'il venait d'être nommé rédacteur en chef d'un magasin de jardin monégasque. Jusque là...pas d'anicroche. J'ai compris aussi que Pénélope après un premier poste assez prestigieux se retrouve aux gobelins et s'intéressent de près à Monet depuis qu'ils ont redécouvert des tapisseries - les serpillères comme ils les appellent. 

Les personnages étaient assez sympathiques, un petit couple qui se piquent d'être détective, un peu d’esbroufe même si l'ensemble est moins frais que Tuppence et Tommy Beresford, une sœur mystérieuse, un meurtre, des tableaux qui apparaissent ou disparaissent: les ingrédients étaient intéressants. 
L'intrigue est vraiment bien inscrite dans un contexte actuel. L'auteur se replace dans l'époque en suivant l'actualité instant par instant, ici une exposition au musée Marmottan-Monet ou bien le mariage d'Albert de Monaco. C'est assez agréable de sentir le roman pris dans notre réalité. Cela lui donne un relief bienvenu que l'on retrouve peu ailleurs. Il y a même des petits clins d’œil à des personnalités connues comme une conversation que surprend Pénélope entre une certaine Clémentine et un Franck (les aficionados des émissions d'Histoire pour grand public reconnaitra sans peine de qui Adrien Goetz parle) et ça m'a faite sourire. 

Cependant, malgré toutes ces qualités, je me suis très vite lassée des aventures de Pénélope et Wandrille. D'une part, l'intrigue principale m'a laissée de marbre. Monet aurait-il été un espion à la solde de Clemenceau? Pourquoi et comment est-il devenu si riche? En fait je n'y ai pas cru du tout, c'est peut-être trop contemporain pour moi pour le coup mais je ne me suis pas laissée embarquer dans l'histoire. De plus, j'ai trouvé le récit extrêmement brouillon. Je m'explique:
L'histoire commence par le meurtre de Carolyne Square et la lecture du petit encadré relatant le meurtre par Wandrille, assis au soleil à la terrasse d'un café monégasque. Nous revenons ensuite deux jours plus tôt pendant le cocktail donné à Marmottan-Monet puis nous passons à Wandrille puis retour à la veille de la réception etc etc. Ces allers-retours m'ont rebutée, j'avais l'impression d'avoir une histoire pas dans le bon ordre sans que cette chronologie bouleversée apporte quoi que ce soit de positif ou d'intéressant à la narration. Dommage car dès le début cela a cassé mon intérêt pour l'intrigue. Là où Agatha Christie nous aurait dépeint par le menu les gens à table avec Pénélope dont cette sœur Marie-Jo et Carolyne Square, Adrien Goetz nous donne des bribes finalement peu engageantes. J'imaginais déjà ce que Dame Agatha aurait pu faire d'une telle scène et j'étais déçue de ne pas retrouver un grain de malice semblable. 

Du coup je me suis franchement ennuyée, heureusement le roman est court, la sauce n'est pas délayée à l'infini. Je ne deviendrai pas une fan de Pénélope et Wandrille et ça me peine, mais c'est comme ça. Et vous? Avez-vous déjà lu les Intrigues d'Adrien Goetz?

mardi 22 avril 2014

Luther l'alerte - Neil Cross


Présentation de l'éditeur: Tous ses collègues s'accordent à le dire : John Luther est un excellent flic. Un homme impressionnant par son physique et ses principes ; un détective intuitif admiré pour ses résultats. Mais la réalité est plus sombre. A force de côtoyer le mal, Luther est en train de perdre pied. Une situation qui inquiète son épouse, impuissante à apaiser ce mari lancé dans une guerre personnelle contre le crime. Et face à un tueur d'enfants qui joue avec ses nerfs, combien de temps Luther parviendra-t-il à rester du bon côté de la loi ?


Si le nom et la couverture de ce roman vous disent quelque chose il y a deux possibilités: primo, que vous l'ayez déjà lu et dans ce cas, bravo, secundo, que vous soyez un amateur de la BBC et du polar anglais et que du coup, vous ayez déjà vu ou entendu parler de la série Luther où le héros est incarné par un Idris Elba magistral. Personnellement, comme je suis TOUJOURS à la bourre, je fais partie de la catégorie 2.b qui a déjà entendu parler de la série, a vu des extraits sur youtube mais n'a pas encore eu l'occasion de visser ses fesses dans un canapé assez longtemps pour mater un épisode entier. Forcément, quand Luther l'alerte est sorti en poche, j'étais super intriguée, poussée par une force maîtresse vers ce petit opus à la couverture sanglante. Oui je sais je suis vachement lyrique aujourd'hui mais c'est parce qu'on est dimanche et que je travaille, enfin là présentement non, mais vous saisissez l'idée globale du bazar. 

Je me demandais un peu si ce roman arrivait à la suite de la série, ce qui m'aurait rendue super triste, je n'aurai pas voulu me spoiler, ce serait trop bête mais Neil Cross, l'auteur de la série britannique star, pense à tout. Il nous plonge cette fois dans la toute première aventure de son héros, un prequel pour mieux comprendre John Luther et l'individu violent qu'il commence à devenir.

L'intrigue est assez violente, des familles massacrées - avec détails s'il vous plaît - des enfants enlevés, un type complètement fou à poursuivre. En plus de ça, John Luther doit rendre service à son collègue qui vient de se faire passer à tabac pour avoir aidé un vieux militaire à conserver sa maison. Au prise avec un mafieux et ses acolytes, Luther franchit la limite de la loi et se voit coller les services internes aux fesses. Rien que ça.

J'ai beaucoup aimé le personnage de Luther que je trouve très attachant. Il voit des crimes horribles au quotidien et doit gérer à la fois l'amour qu'il éprouve pour son travail mais aussi sa rage. Sa femme en revanche m'a passablement gonflée. Elle sait qu'elle est injuste envers son mari mais ça ne l'empêche pas de le tromper quand même en tentant vainement de se déculpabiliser. Comment te dire chérie, ton mari vient de découvrir une mère ouverte en deux, on lui a pris son bébé et il le cherche...effectivement il n'a pas trop le temps de s'occuper de toi là...my eyes are rolling so hard I can see the back of my brain...
C'est typiquement le genre de personnage que je déteste dans les romans policiers. J'imagine que lorsque tu épouses un inspecteur ou une inspectrice de l'unité des crimes violents, tu peux t'attendre légitiment que ton/a conjoint/e ne soit pas toujours en super forme. Il semblerait que ce ne soit pas évident pour tout le monde.

Sinon les collègues de Luther sont également sur la brèche et s'était intéressant à lire. Il n'y a pas que lui qui plonge, les autres inspecteurs sont eux aussi victimes de leur métier. Entre celui qui traque les pédophiles sur internet et qui doit se gaver de films d'horreur coréens pour pouvoir dormir, la jeune qui ne passe quasiment aucun moment avec son compagnon ou la cheffe qui doit laisser sa fille de 10 ans dormir chez les voisins, aucun n'est indemne.

L'histoire est bien maîtrisée, avec pas mal de rebondissements, de croisements d'intrigues appréciables. Une bonne idée donc d'avoir lancé ce prequel, cela permet d'approfondir notre connaissance du personnage.

Une histoire choc digne des grands thrillers américains, un héros auquel nous sommes immédiatement attachés, une violence permanente, Luther L'alerte nous plonge irrémédiablement dans la descente aux enfers d'un homme courageux. Pour tous les amateurs de romans policiers à l'anglaise, que vous connaissiez la série ou non.

mardi 25 mars 2014

Douze minutes avant minuit - Christopher Edge


Présentation de l'éditeur: Londres, 1899.
Tous les soirs, douze minutes avant minuit, un phénomène inquiétant frappe un hôpital psychiatrique : les patients se mettent à écrire frénétiquement d’étranges messages sur des papiers, des murs, et même leur peau. Penelope Tredwell, propriétaire à treize ans du célèbre magazine
Le Frisson illustré, et auteur d’histoires terrifiantes, décide d’enquêter.
Bientôt prise au piège dans une véritable toile d’araignée, Penelope regarde d’un oeil angoissé les minutes s’écouler : chacune d’elles la rapproche du vénéneux complot qui se prépare…

Vous me connaissez, je suis incapable de résister à un roman policier jeunesse qui se passe à l'époque victorienne. J'entends déjà les mauvaises langues du fond "Persie est incapable de résister à la période victorienne". Oui bon d'accord je suis faible tout le monde le sait merci bien. Du coup, quand j'ai reçu le tome deux de la série de Christopher Edge, je me suis dis que c'était vraiment bête de passer à côté du tome un et c'est comme ça que j'ai ouvert Douze minutes avant minuit et son héroïne Penelope Tredwell.

Pour ceux et celles qui ont lu The Agency (Tome 1, Tome 2), je m'attendais, peu ou prou, au même "genre" d'intrigues mais en un peu plus simple, tout simplement parce que The Agency était à destination des grands ado/young adult, alors que Douze minutes avant minuit est plus destiné au pré-ado. Finalement après l'avoir lu, je me rends compte que l'intrigue de Douze minutes avant minuit est bien sombre et que cela pourra aussi plaire aux ados un peu plus vieux.

Tout commence comme une intrigue policière un peu flippante. À la veille du nouveau siècle, Montgommery Flinch, l'auteur à succès du Frisson illustré, est convoqué par le directeur de l’hôpital Bedlam - l'asile psychiatrique de Londres - pour régler un mystère insoluble.
C'est vrai qu'avoir une héroïne de treize ans, indépendante et aussi éveillée peut être un problème pour le lecteur qui aurait dépassé la puberté. Cela dit, ça passe plutôt bien car Penelope est vraiment attachante et se sert plus de son intellect que de ses muscles ce qui rend le personnage crédible. En cela, elle n'est pas si loin d'un Lemony Snickett, jeune détective de treize ans lui aussi. Le contraste entre ce petit bout de femme et le monde des adultes qui l'entoure est plutôt bien fait car on ne manque pas durant le roman de lui rappeler que non seulement elle est jeune mais qu'en plus, elle est une fille - tare suprême vous en conviendrez comme Cheshire.
L'intrigue policière est intéressante et la jeune fille ne manque pas d'intuition. J'ai vraiment aimé le personnage de Penelope. Elle est dégourdie, elle n'a pas sa langue dans sa poche et c'est une fille maligne. j'ai vraiment pris plaisir à la suivre dans ses aventures, le contact est assez naturel et on a vraiment envie qu'elle finisse par sauver les adultes de leurs propres bêtises. 

Ce qui différencie surtout Douze minutes avant minuit de la série Agency, c'est la dimension fantastique que Christopher Edge donne à son récit. En effet, si l'essentiel du roman tombe dans le genre du policier, on ne peut nier que l'auteur ait voulu pimenter son récit par de petites touches de fantastiques. Douze minutes avant minuit devient de ce fait, un récit beaucoup plus flippant et étrange qu'attendu. Je ne peux pas en dire beaucoup plus au risque de vous gâcher le suspense mais Christopher Edge maîtrise bien à la fois le récit fantastique et le polar qu'il met en place. Il n'hésite pas à dépeindre une Londres noire et dangereuses, sans oublier les personnages tout droit sortis d'une ruelle sombre de Dickens.

J'ai été vraiment étonnée par la tournure assez sombre du récit, j'avoue que j'attendais quelque chose de plus "gentillet" que ça. C'est une excellente surprise donc, un vrai roman policier victorien pour les ados qui ne les prend pas pour des quiches.
À découvrir.

lundi 9 décembre 2013

The Last Camel died at noon - Amelia Peabody #6 - Elizabeth Peters


Présentation de l'éditeur: Quelle mouche a donc bien pu piquer la pétulante Amelia Peabody pour qu'elle s'engage, au mépris de toute prudence, au coeur du Soudan révolté, sur les traces du jeune vicomte Blacktower dont on est sans nouvelles depuis des années ? La voici, en tout cas, perdue au milieu des sables, sous un soleil d'enfer, avec son intrépide compagnon Emerson et leur génial rejeton Ramsès. Aucune oasis en vue, pas le moindre signe de vie, à l'infini un vallonnement de dunes aveuglantes... et leur dernier chameau qui vient de rendre son dernier souffle. Pourtant l'énigmatique message griffonné sur un fragment de papyrus par le jeune disparu ne laisse planer aucun doute sur l'existence d'une cité fabuleuse enfouie au fond des sables - une cité qui a traversé les millénaires, et dont n'oserait rêver aucun archéologue. Au prix de quels périls Amelia et les siens parviendront-ils à s'en approcher ? Quelles épreuves les attendent au terme de cette découverte ?

Pour suivre toute la saga des Peabody et Emerson, suivez Cheshire

C'est vrai qu'il est dur d'arriver à se renouveler lorsque l'on écrit une série comme celle des Peabody et Emerson.  C'est également le cas pour la série Charlotte and Thomas Pitt d'Anne Perry. Eviter de les lire à la suite et de les consommer comme des macarons peut déjà aider à garder intact l'envie et la fraîcheur d'une série. Cependant, il arrive parfois qu'au milieu de livres doudous se cache un ugly duckling

J'ai le regret d'avouer que Le secret d'Amon-Râ est une déception dans cette série que j'adore. Pourtant tout commençait très bien. Le premier chapitre nous plonge directement dans l'histoire, à un point déjà bien avancé du récit, ce qui ne manque pas de soulever d'emblée de nombreuses questions: qu'est-ce que Ramsès, Peabody, Emerson et Kemitt font en plein milieu du désert soudanais avec un chameau mort et plus d'eau? Qui est Kemitt? Non mais sans déconner, qu'est-ce qu'ils font là? Le début est suffisamment attractif pour avoir envie de découvrir la suite et l'humour du couple Peabody-Emerson est bien là. 
"Le capitaine se révéla être une vieille connaissance d'Emerson. Bon nombre des habitants de Nubie se révélèrent être de vieilles connaissances d'Emerson."
"En fait, Ramsès s'est grandement bonifié au cours de ces dernières années. (Ou alors je me suis habituées à lui. On dit qu'on peut s'habituer à tout.)"
"J'aurai pu lui faire remarquer qu'il était impossible de surveiller Ramsès en "l'ayant à l'oeil". La tâche exigeait une attention totale des deux yeux et une main ferme au collet."
Cependant l'ensemble se gâte très vite pour une simple bonne raison: le roman est trop long et manque de rythme. 

L'intérêt de Peabody et Emerson réside plus à sens dans ses personnages principaux que dans ses intrigues. On sait très bien généralement où va nous mener Elizabeth Peters. Cependant, elle le fait toujours en se moquant de Peabody et d'Emerson si bien que le côté prévisible de la plupart des intrigues n'est pas franchement gênant. Il ne s'agit pas d'un Agatha Christie où le clou du roman consiste à suivre les déductions de Poirot ou de Marple jusqu'à la désignation du coupable. Généralement, on sent - parfois même avant Peabody - qui a agit comment et pourquoi. 
Je ne sais pas vous mais j'adore retrouver ce schéma où Peabody suspecte un acte criminel quelconque, si possible impliquant un amour impossible entre deux jeunes gens, Emerson rejetant alors toute idée de crime avant de se lancer joyeusement dans une compétition avec sa femme sur "qui va trouver le meurtrier/criminel le premier". C'est une constante qui revient à chaque volume et qu'Elizabeth Peters sait en général très bien intercaler avec le mystère ambiant. Seulement ici ni l'intrigue, ni finalement la "compétition d'idée" entre Emerson et Peabody n'ont véritablement d'intérêt et l'intrigue, assez faible, n'est jamais vraiment relevée par un couple en forme. 

J'ai apprécié l'intention de l'auteure de se renouveler en apportant un changement profond à sa façon de construire une intrigue. En deux parties, la première se déroulant successivement à Londres puis en Egypte et la seconde dans le pays de Koush au Soudan, le roman renouvelle donc assez bien le type d'intrigue attendue. Malheureusement le suspense est constamment désarmé trop tôt, laissant le lecteur avec des points de détails en guise de fils rouge. 
A côté de ce premier problème il faut admettre que le roman est beaucoup trop long, ce qui entraîne inévitablement des répétitions et un soucis de rythme flagrant. Il aurait fallu, je pense, abréger la première partie pour développer la seconde puisqu'il semble évident que c'est sur cette dernière qu'Elizabeth Peters comptait faire peser le suspense.
En parlant de cette seconde partie, elle aurait pu être vraiment intéressante si nous n'avions pas le droit souvent  à des demi-rebondissements qui finissent par être lassants. Du coup même les fausses pistes fracassantes ne prennent pas quand après cinq cérémonies sacrificielles, nos héros échappent toujours de justesse à la mort et se demandent "mais où veulent-ils en venir?". Comme je le disais, le suspense est désarmé toujours trop tôt. En reposant le livre on se demande du coup, s'il y avait une intrigue dans ce qu'on vient de lire.

Étant donné que l'on sait que Peabody, Emerson et Ramsès vont s'en sortir, le lecteur ne peut même plus compter sur ce suspense là. Personnellement la seconde partie a été pénible à lire parce que fondamentalement sans vrai rebondissement ni intérêt. Les ficelles sont plutôt grosses et les répétitions lassent.

Tout n'est pas à jeter, cela reste un Peabody-Emerson quand même! Ramsès est égal à lui-même, même si d'un point de vue personnel, on ne le voit pas assez. J'ai déjà dit que j'avais aimé la tentative d'Elizabeth Peters de se renouveler et c'est vrai, même si c'est râté au final. On sent qu'elle réfléchit sur le devenir de sa série et qu'elle ne peut se permettre d'écrire de la même façon d'un tome à l'autre. 

Peabody est toujours aussi pénible drôle et j'adore lire ses multiples descriptions d'Emerson, surtout vêtu à la mode égyptienne (une sorte de kilt, torse nu et les cheveux au vent). On ne pourra pas reprocher à Peters de ne pas mettre en avant la plastique et le charisme de son héros, de même que son amour et ses ardeurs envers sa femme. C'est toujours un aspect qui me plait, cet amour et ce désir que l'on sent émaner des deux personnages. Cela donne lieu à des situations cocasses ou des réflexions que le lecteur ne peut pas oublier.

Si cette lecteur a été au final en demi-teinte je laisse bien volontiers le bénéfice du doute à Elizabeth Peters. Tous les tomes d'une même série ne peuvent pas être bons ni au même niveau et si Le secret d'Amon-Râ est au final une petite rotten apple, il n'empêche que je vais continuer avec plaisir. On me souffle d'ailleurs dans l'oreille que le tome suivant, retour à Amarna, est un petit bijoux! Merci maître Zouda et hâte de retrouver mes héros en meilleure forme!

lundi 2 décembre 2013

Le crime de l'Orient-Express - Agatha Christie


Présentation de l'éditeur: C’est par le plus grand des hasards qu’Hercule Poirot se trouve à bord de l’Orient-Express, ce train de luxe qui traverse l’Europe. Alors qu’il est bloqué par la neige au cœur de la Yougoslavie, on découvre, dans l’une des voitures, le corps d’un Américain sauvagement assassiné à coups de couteau. Le meurtrier se cache forcément parmi les voyageurs… Mais qui de la princesse russe, de l’Américaine fantasque, de ce couple de Hongrois distingués, de ce colonel de retour des Indes ou même du propre secrétaire de la victime a bien pu commettre pareil crime ? L’enquête commence, elle sera l’une des plus difficiles et des plus délicates pour notre célèbre détective belge. 

Ce roman, publié en 1934, est sans aucun doute l'un des plus connus d'Agatha Christie et le Hercule Poirot le plus lu. Un meurtre en huit-clos comme les affectionne Dame Agatha, et plus particulièrement un meurtre dans un train comme Le train bleu écrit six ans avant Le crime de l'Orient-express. Ce qui fait ici la particularité du roman c'est que contrairement au Train bleu où les passagers se retrouvent tous dans la même villa après les faits, ici, ils sont coincés par la neige en plein milieu de la Yougoslavie.

Le roman est donc divisé en plusieurs parties: le meurtre, les interrogatoires et la résolution de l'énigme, une coupure en trois actes qui donne l'impression d'assister à une pièce de théâtre. Pas étonnant dès lors, de voir que Le crime de l'Orient-Express est l'un des romans d'Agatha Christie les plus adaptés au cinéma et à la télévision, la structure même du roman se prêtant admirablement à une adaptation via le média cinématographique.
C'est également une enquête très particulière dans le sens où finalement les indices matériels sont très secondaires par rapport aux témoignages. L'ensemble de l'intrigue est très fine, il s'agit de déceler le moindre mensonge, la moindre inexactitude dans les propos tenus par les interlocuteurs de Poirot. La qualité de la narration est donc véritablement importante dans ce roman car c'est par le discours et le discours seul que la solution de l'énigme pourra être dévoilée. C'est donc un très joli hommage à l'importance de la parole que nous offre l'écrivaine dans ce roman célèbre.

Il y a, dans Le crime de l'Orient-Express, une galerie de personnages comme seuls Dickens et Agatha Christie savent les produire. En ouvrant le roman vous savez que vous êtes dans un Agatha. La description des anglais et des américains si typique de la romancière, le comportement de ces gens et les réactions d'Hercule Poirot sont du très bon Agatha Christie. Même si les personnages sont nombreux, le plan du train et leur personnalité si différentes et tranchées font que chacun peut être identifié très rapidement. Comment ne pas imaginer dès lors, l'américaine qui parle trop fort, le couple d'aristocrates hongrois, la princesse russe, la jeune anglaise fermée et le colonel de retour des Indes, l'infirmière suédoise, l'italien ou le commerçant américain, sans compter les domestiques et autres secrétaires? Ces personnages prennent vie avec beaucoup de facilité et sans aucun effort de la part du lecteur. Tout ce dont on a besoin de savoir est couché sur papier.

Je connaissais déjà Le crime de l'Orient-express, ce n'est pas ma première lecture. J'ai donc cherché à déceler les petites inexactitudes qui mettent Poirot sur la voie et si certaines sont finalement faciles à identifier, d'autres restent tout de même obscures même lorsque l'on connait la solution de l'énigme. Il y a évidemment certains faits que souligne particulièrement Poirot qui peuvent nous mettre sur la voie, d'autres éléments que l'on peut deviner si l'on connait un peu l'époque dont parle le roman mais pour le reste...
J'ai vraiment aimé cette partie centrale qui compose le roman: les interrogatoires. L'ordre dans lequel les faits passer Poirot n'est jamais anodin et on essaye tant bien que mal de suivre son raisonnement. Il y a ici un autre élément très intéressant: la personnalité de la victime. En découvrant qui était vraiment la victime, Hercule Poirot pourra comprendre ce meurtre. Les éléments se composent et s'emboîtent les uns dans les autres pour faire toute la lumière sur une affaire tragique.

Comme je le disais il a été adapté au cinéma et à la télévision de nombreuses fois. On compte notamment une adaptation en 1974 avec Albert Finley et une autre en 2004 avec Alfred Molina. J'aimerai cependant attirer votre attention sur l'adaptation de 2010 avec David Suchet. Elle est à mon avis un parfait exemple de ce que peut être une bonne adaptation. Tout en respectant le texte original, David Suchet y ajoute une dimension psychologique qui donne de la profondeur à Poirot en explorant notamment le catholicisme du détective et le poids de la décision finale à prendre. Il y a plus d'emphase sur ces derniers points, largement passés sous silence dans le roman mais je trouve l'idée très bonne. Cela donne plus de densité à la fois à l'intrigue mais aussi aux personnages et à leurs décisions. La réalisation est léchée mais très sombre ce qui contribue à instaurer un climat assez noir mais bienvenu. David Suchet joue également un Poirot plus sobre, plus loin de la caricature habituelle tout en restant le Hercule que le spectateur connait. Des partis-pris de réalisation que je salue, ce Crime de l'Orient-Express sait se démarquer de ces prédécesseurs.

De facture finalement très simple, en trois actes, Agatha Christie arrive à produire l'un de ses meilleurs romans, un de ceux qui font le plus mouche et nous surprennent par la désignation du meurtrier. Si vous ne l'avez jamais lu il est grand temps de le découvrir.

lundi 25 novembre 2013

La maison biscornue - Agatha Christie


Présentation de l'éditeur: [Tronquée et modifiée] Trois générations de la famille Léonides vivent sous le même toit. Celui d’une vaste maison un rien biscornue… Quand le grand-père meurt assassiné, tout le monde est soupçonné! Sophia Leonides, l'aînée des petits-enfants, demande alors à son fiancé Charles, fils du chef de Scotland Yard, d'enquêter sur cette affaire de l'extérieur. Si seulement le coupable pouvait être Brenda, la jeune seconde épouse du vieux Léonides, cela serait tellement plus simple pour tout le monde...

Depuis mon adolescence, j'en ai lu des Agatha Christie! J'en ai lu tellement qu'il m'arrive de ne pas me souvenir de ce que j'ai lu et parfois les intrigues se mélangent un peu dans ma tête mais ici j'étais sûre de ne jamais avoir lu La maison biscornue. Plus encore, j'étais sûre de n'avoir jamais vu d'adaptation car il ne s'agit ni d'un Hercule Poirot, ni d'un Miss Marple et qu'il n'a pas été modifié pour apparaître dans la dernière série des Miss Marple comme ce fut le cas pour l'Heure zéro ou encore Témoin indésirable.
J'ai donc abordé La maison biscornue sans aucun à priori et surtout sans connaître la fin! C'était très agréable d'ouvrir ce Agatha Christie sans se douter de qui était le meurtrier. 

On retrouve dans La maison biscornue cette ambiance particulière que seule Agatha Christie sait créer lorsqu'il s'agit de meurtre familial. En effet, La maison biscornue rejoint le cercle des romans d'Agatha qui se passent en huit clos et en famille.  Parmi ces œuvres on retrouve notamment Le Nöel d'Hercule Poirot et Une poignée de seigle où il est question d'un patriarche assassiné par l'un des membres de sa famille. Il ne faudrait cependant pas croire que la liste s'arrête là. Dans Témoin indésirable, l'heure zéro, rendez-vous avec la mort ou encore la mystérieuse affaire de Styles, ce sont les matriarches qui sont liquidées. Enfin, le fameux 16H50 pour Paddington, l'affaire se révèle extrêmement complexe. 

Si Le Noël d'Hercule Poirot et Témoin indésirable mettent en scène des chef-fes de famille tyranniques et détestables où tous les membres de la famille ont un vrai mobile pour les supprimer, ce n'est pas tout à fait le cas ici. La maison biscornu se rapproche plus d'Une poignée de Seigle, de l'heure zéro et plus certainement encore de la Mystérieuse affaire de Styles. Aux premiers abords, il s'agit donc d'un crime commis pour l'argent. Les choses sont toujours plus complexes avec Agatha Christie à tel point que même si ce roman partage de nombreux traits communs avec d'autres, il est finalement terriblement unique. 

Je comprends pourquoi La maison biscornue fait partie avec Témoin indésirable des deux romans préférés d'Agatha Christie. Aucun personnage ne semble vraiment avoir de mobile, hormis peut-être la seconde épouse et son amant supposé mais dès l'instant même où cette hypothèse est lancée le lecteur peut être certain qu'elle est fausse parce que terriblement arrangeante pour la famille. Nous explorons d'ailleurs celle-ci par les yeux d'un inconnu ce qui permet d'avoir un point de vu quasi impartial quoique biaisé par son amour pour Sophia et quelques préjugés qu'il fait, de fait, partager au lecteur. 

La famille Léonides est particulièrement intéressante parce qu'elle dégage ce petit quelque chose commun aux familles que met en scène Agatha Christie. Ils sont tous assez étranges pour être soupçonnables et en même temps sans qu'il ne se dégage ce véritable climat de haine que l'on retrouve ailleurs, exacerbé comme dans Le Noël d'Hercule Poirot. Cette caractéristique est d'ailleurs amplifiée par le fait que le patriarche en question semblait certes autoritaire mais jamais tyrannique puisque ses enfants étaient financièrement indépendants et plutôt libres de leurs mouvements. Une composante intéressante qui ne renvoie pas aux clichés habituels du meurtre du patriarche fortuné.  


 Ce que j'ai particulièrement aimé avec La maison biscornue c'est que comme dans Le meurtre de Roger Ackroyd, Agatha Christie joue sur nos préjugés en matière de roman policier.
Elle joue ici sur le préjugé qu'un lecteur ne soupçonnera pas d'emblée une enfant de douze ans comme le coupable froid et calculateur de plusieurs meurtres, tentatives de meurtres et mises en scène macabres. 
C'est d'autant plus intéressant que la petite fille se présente comme souvent les enfants sont montrés dans ce genre de roman, c'est-à-dire fouineur mais innocent or ici Josephine est belle et bien la coupable pour un motif futile qu'elle est le vilain petit canard de la famille et qu'elle cumule les traits de caractères négatifs des deux branches de la famille: une sorte de cruauté doublée d'une ambition démesurée. 
Tout est fait pour rassurer le lecteur dans cet idée que Joséphine sait des choses et qu'elle est de ce fait en danger, alors même que c'est elle qui tire les ficelles de façon bizarrement ingénue. 

La fin elle-même est à l'image du roman: surprenante avec ce suicide doublé d'un meurtre qui laisse le lecteur pantois. Une enquête "avortée" et mal orientée. De quoi surprendre.

Un excellent roman d'Agatha Christie, très doux amer dans le ton dont on ressort un peu gêné. On se replongera volontiers ensuite dans un Agatha Christie un peu plus classique pour faire passer l'ingéniosité de l'auteure. 

Une découverte que je ne regrette pas.

mardi 29 octobre 2013

Le club Dumas ou l'ombre de Richelieu - Arturo Pérez Reverte


Présentation de l'éditeur: Lucas Corso, mercenaire de la bibliophilie et chasseur de livres, il reçoit de clients la double mission d'authentifier un chapitre manuscrit des Trois Mousquetaires et de déchiffrer l’énigme d'un étrange livre, Les neufs portes du royaume des ombres, brûlé en 1666, en même temps que son auteur, sur l'ordre du Saint-Office, et qui selon la légende permet de convoquer le diable. L'enquête de Corso se complique du suicide d'un célèbre éditeur de livres de cuisine, passionné par les feuilletons du XIXe siècle. Elle le mènera de Tolède à Cintra, au Portugal, et de là aux bouquinistes du quartier Latin à Paris.
Défilent d'insolites personnages, y compris une mystérieuse jeune femme qui suit Corso pas à pas, ainsi qu'un couple inquiétant qui semble sorti tout droit des Trois Mousquetaires, tandis que dans un endroit secret l'ombre du cardinal de Richelieu tire à travers le temps les fils d'une intrigue à mi-chemin entre la réalité et la fiction. 

Lire n'est jamais une occupation innocente. Un livre peut se transformer en un piège mortel, telle est la conclusion de cette histoire fascinante.

Je n'aime pas dire du mal d'un auteur, vraiment, surtout lorsque cet auteur à un talent réel d'écriture mais parfois c'est nécessaire. Je pense, en toute sincérité, qu'Arturo Pérez-Reverte doit arrêter d'écrire des romans policiers, c'est clair, il n'est pas fait pour ça. Comprenez-moi bien, je ne dis pas qu'il doit arrêter d'écrire, il a incontestablement une excellente plume et une façon de croquer ses personnages que j'ai rarement croisé ailleurs. Non, il n'est simplement pas bon dans le genre du roman policier.

Après ma lecture du Tableau du maître flamand, que j'avais apprécié malgré des défauts de construction de l'intrigue, une fin inutilement complexe et un langage parfois verbeux, j'avais très envie de continuer sur ma lancée et de découvrir d'autres romans du même auteur d'autant que l'on m'en conseillait plusieurs. Mon choix s'est donc rabattu sur Le club Dumas ou l'ombre de Richelieu et Le cimetière des bateaux sans nom. Devant le résumé du Club Dumas, j'ai eu une révélation. Il s'agissait du roman ayant inspiré Roman Polanski pour son film La neuvième porte que j'ai vu de nombreuses fois gamine puis adolescente. J'ai donc bien naturellement commencé par celui-là.

J'y ai retrouvé le côté rugueux du film, un personnage principal dur et antipathique à qui l'on finit par s'attacher malgré tout. C'est la grande force d'Arturo Pérez-Reverte, de créer des personnages uniques qui imprègnent ses récits. Ils sont extrêmement subtiles dans leurs caractéristiques, toujours très bien dosés et assez loin des clichés des personnages de romans policiers en général. Ici Corso est un être froid, calculateur mais pas sans morale. Il est complètement mort au niveau affectif et est efficace dans son travail justement parce qu'il met l'affect de côté. Lapin ou loup, ses descriptions oscillent souvent mais touchent toujours. La fille est elle-aussi parfaite dans son genre. Elle garde un détachement du début jusqu'à la fin ce qui, au lieu de la faire paraître superficielle, l’insère sans difficulté aucune dans le monde de Corso. Intrigante certes, mais finalement naturelle dans cet environnement étrange. D'ailleurs, Corso devine assez vite la nature de cette "Irene Adler" même s'il pense au départ à une plaisanterie. La Ponte est de son côté loin d'être le sidekick rigolo classique. Sidekick il peut l'être, drôle non.
Nous avons aussi les répliques de Rocheford et Milady que j'ai trouvé eux en revanche beaucoup plus caricaturaux ce qui n'est sans doute pas une surprise étant donné le rapprochement voulu entre Liana Taillefer et son garde du corps à cicatrice et les deux protagonistes des Trois mousquetaires.

On en vient à un deuxième et troisième points qui prouvent qu'Arturo Pérez-Reverte est un excellent auteur malgré tout ce que je vais vous balancer par la suite - voyez que je suis mal à l'aise de dire du mal. Je vis dans un monde de bisounours...et j'aime le polar...oui je sais, je suis une fille bizarre. Son récit commence à la première personne, racontée par Boris Balkan, professeur de littérature spécialiste des romans populaires du XIXe siècle. Plus largement Boris Balkan est un passionné de Cape et d'épée et en particulier de Dumas et de ses Trois mousquetaires. C'est là que l'on sent le véritable travail d'érudition de l'auteur. Ayant écrit Les aventures du Capitaine Alatriste on s'en serait douté mais nous en avons désormais la preuve. Il parle de romans qui ne sont plus édités, de feuilletons du XIXe siècle peu connus et de ce genre littéraire depuis les premiers ouvrages espagnols. Il montre également la même érudition dans les ouvrages consacrés au diable, même si celle-ci semble plus lourde et artificielle. Quant au monde des bibliophiles, des livres anciens et de leur restauration, là aussi il nous en met plein la vue.
D'un point de vue purement narratif, la rencontre avec Boris Balkan nous permet aussi un joli coup de style. En effet, comme je le disais, le récit commence à la première personne écrit par Balkan lui-même et nous racontant sa rencontre avec Corso qui vient lui demander conseil pour le manuscrit du Vin d'Anjou. Sauf que, retournement de situation, le récit passe ensuite à la troisième personne toujours raconté par Balkan mais d'après les évènements que lui a rapporté plus tard Corso. C'est assez original même si j'y mets une réserve du fait de la fin du livre qui donne à l'ensemble, quand on y pense, un côté bancal ou une facilité narrative qui a été déjà reprochée, dans son traitement, à plusieurs autres auteurs dont Agatha Christie elle-même. Si je dis ça c'est parce que Pérez-Reverte est conscient de cet artifice et qu'il n'hésite pas à aller au-delà du clin d’œil notamment à rappeler le procédé utilisé par la reine du polar. J'ai trouvé la filiation facile et pas forcément bien maîtrisée. 

Cette originalité narrative tombe donc un peu à plat à la fin du roman et en fait un artifice presque ridicule mais c'est sans doute plus imputable à la construction de l'intrigue elle-même qu'au style de Pérez-Reverte qui est pour le coup assez simple et moins bavard que dans Le tableau du maître flamand. L'intrigue est sans conteste le plus gros problème du roman et la qualité de l'écriture ne compense malheureusement pas cette faiblesse colossale pour un roman policier. Ce qui me fait dire que l'auteur n'est tout simplement pas bon pour le genre.

En fait, au niveau de l'intrigue, Le club Dumas est exactement l'excès inverse du Tableau du maître flamand. Souvenez-vous, je vous disais que l'intrigue première au sujet du tableau et du meurtre qu'il dévoilait était abandonnée dès le premier tiers du récit. Je regrettais donc une disparition beaucoup trop rapide d'une intrigue que j'aurai aimé voir conjointement menée avec celle de la partie d'échecs mortelle. Ici, c'est exactement l'inverse. Je ne sais pas si Arturo Pérez Reverte a voulu corriger les défauts du Maître flamand en écrivant Le Club Dumas (le premier date de 1990 le second de 1993, ils sont respectivement les romans numéro trois et quatre de l'auteur) mais il commet dans ce dernier toutes les erreurs inverses du premier. Comme quoi parfois il faut se méfier de ce que l'on souhaite.
Arturo Pérez Reverte commet le malheur de suivre deux lièvres à la fois: d'une part l'intrigue sur le Vin d'Anjou, ce chapitre des Trois Mousquetaires qu'on cherche à voler à Corso et d'autre part, l'authentification du livre Les neuf portes du royaume des ombres par comparaison avec les deux autres exemplaires connus de l’œuvre, le tout accompagné de vol, destructions de biens et de meurtres. Les deux intrigues sont entremêlées, ce que j'aurais voulu lire dans le Maître flamand, seulement là je ne vois pas DU TOUT l'intérêt de suivre ces deux intrigues. Pourquoi? Tout simplement parce qu'elles ne se rejoignent JAMAIS contrairement au lien qui était fait entre le tableau et les meurtres par le jeu d'échec dans le Maître flamand où une double intrigue avait sa place. Si Lucas Corso, le personnage principal essaye vaguement de combler les blancs pour que tout ait du sens, le lecteur se rend vite compte qu'il s'agit de deux intrigues séparées. Dès lors, l'abandon de l'intrigue Dumas, profondément inintéressante j'en ai peur, plus tôt dans le déroulement de l'action, aurait donné plus de suspense à la seconde intrigue sur le mystérieux livre écrit par le diable. Un filon ésotérique que l'auteur n'est même pas capable d'exploiter jusqu'au bout.
La révélation sur le mystère du Club Dumas tombe non seulement à plat mais est en plus longue et franchement sans intérêt. Il n'y a aucun enjeu et la résolution de l'intrigue me fait penser à une bombe qu'on désamorce par un pétard mouillé: "Quoi mais c'est ça la solution de l'énigme?" Tout ça pour se rendre compte qu'il n'y avait pas d'énigme, juste des zigotos complètement farfelus incapables de traiter une affaire marchande convenablement. Je ne précise pas que le "méchant" de cette intrigue là est bavard et pédant? Qui a dit "On dirait César?".

Maintenant je vous donne l'autre bonne nouvelle, l'intrigue sur la neuvième porte s'achève....en un chapitre, le dernier. Oui, puisque les autres sont consacrés à Dumas. La meilleure intrigue du roman liquidée en dix pages avec là au contraire presque aucune explication - heureusement que j'avais vu le film pour comprendre de quoi il retournait. Le chapitre s'appelle d'ailleurs "Diabolus ex machina" en référence à la ficelle de la solution miraculeuse. C'est exactement ça, une résolution bâclée et expédiée. A partir du dernier tiers du roman j'ai vraiment eu l'impression que l'auteur ne savait plus du tout où il allait et qu'il bâclait sa fin pour en finir plus vite, comme s'il avait écrit une intrigue sans penser à son dénouement. Pire, je le soupçonne d'avoir voulu faire un mystère littéraire sur Dumas, mais voyant que ça allait être dur d'intéresser le lecteur sur "les ghost writer" de Dumas (ce qui est quand même de notoriété publique) et de créer une intrigue à suspense, a rajouté celle sur le diable et son livre histoire afin de complexifier l'ensemble. Ça passe complètement à côté de son but, la fin est une torture à lire et elle ne résout rien.

Je me souvenais vaguement du film de Polanski que je n'ai pas vu depuis une dizaine d'année (mon adolescence me semble soudain très lointaine) et je me demandais pourquoi alors que les neuf portes me disaient bien quelque chose, je ne me souvenais absolument pas d'un mystère sur un manuscrit des Trois mousquetaires. J'ai la réponse, Polanski a tout simplement fait un choix d'adaptation et a supprimé la quasi totalité de cette intrigue là et reconverti certains personnages dans la seconde intrigue. Alors je n'ai pas encore revu ce film - mais je vais le faire vous vous en doutez - mais d'emblée ce choix me semble le plus logique du monde. Débarrassé de cette intrigue qui plombe le récit, le ralenti et fait tomber Corso dans de mauvais choix, le film se recentre sur l'essentiel et donne une explication, quoiqu'un peu confuse dans mon esprit, du mystère des neuf portes. Je vous en reparle très vite.

En attendant, Le Club Dumas s'avère être une grosse déception mais je ne perds pas espoir, il me reste Le cimetière des bateaux sans nom, le maître d'escrime, Le peintre de batailles et bien sûr Alatriste (dont on pourra reparler du film d'ailleurs...ou pas...) pour découvrir d'autres facette de cet auteur espagnol.

lundi 14 octobre 2013

Le tableau du maître flammand - Arturo Pérez-Reverte


Présentation de l'éditeur: Julia, restauratrice d'oeuvres d'art à Madrid, travaille sur un tableau du XVe siècle représentant deux chevaliers jouant aux échecs. Une expertise révèle, sous la peinture, une phrase en latin pouvant se traduire par "qui a tué le chevalier". Avec l'aide d'un antiquaire, d'un joueur d'échecs et d'un historien, son ancien amant, Julia tente de déchiffrer l'énigme du tableau. Pure devinette de spécialistes ? Non, car un mystérieux inconnu reprend la partie d'échecs du tableau de façon bien macabre...(j'ai délibérément amputé le résumé que je trouvais trop détaillé). 

Je vous parlais récemment de ce roman dans la mini-thématique sur Le jeux d'échec en littérature. Peinture, échecs et meurtres composent ce roman impressionnant par bien des aspects. 

Arturo Pérez-Reverte met en scène un tableau complètement fictif, avec des personnages fictifs, un peintre fictif, dans une Histoire fictive et pourtant tout fonctionne parfaitement. Le tableau, La partie d'échecs, est décrit avec un luxe de détails et de façon répétée. Le lecteur fini par réellement le voir, alors même qu'il n'est jamais représenté. Pour peu que vous connaissiez les tableaux flamand du XVe siècle, il est plus que facile d'imaginer cette partie d'échecs qui se joue entre Ferdinand d'Ostenbourg et Robert d'Arras, Béatrice de Bourgogne, les yeux posés sur son livre d'heures, au fond de la pièce près d'un miroir. Il en va de même pour ces personnages auxquels Pérez-Reverte invente une biographie complète parfaitement inscrite dans la chronologie et l'Histoire de la Bourgogne et de la Flandre de la deuxième moitié du XVe siècle. L'invention d'un duché d'Ostenbourg est une excellente idée. Cela permet à l'auteur d'inventer une Histoire qui s'insère sans difficulté dans la grande Histoire du Nord de la France. C'est fait de façon très fine et très appréciable pour un historien. Je dirais même que c'est plus intelligent que d'utiliser des personnages historiques. L'auteur a alors une plus grande liberté d'action sur ces personnages, il peut raconter ce qu'il veut, inventer des meurtres sans pour autant tordre le cou à l'Histoire. 
Non seulement il s'agissait d'une bonne idée mais il se trouve qu'elle est intelligemment pensée et écrite. 

Le soin qu'apporte Arturo Pérez-Reverte au tableau et à son inscription dans l'Histoire, se retrouve également dans le jeu d'échecs. Je ne sais pas s'il joue mais je suis sûre qu'il s'est au moins renseigné pour écrire ce roman. La partie d'échecs ici n'est pas que métaphorique. Elle est certes dans la narration, puisque les personnages sont des pièces d'un jeu d'échecs géant mais aussi physiquement incarnée par la partie d'échecs du tableau. Au départ, il s'agissait de jouer à l'envers afin de recomposer la partie pour comprendre et résoudre le mystère du chevalier. Cependant, la partie continue lorsqu'un mystérieux joueur propose de la poursuivre, laissant les blancs (alors en mauvaise position) à l'équipe de Julia, César et Munoz. 
Les gens qui jouent aux échecs savent que le premier coup revient aux blancs et que de façon purement traditionnelle, la stratégie agressive est aux blancs tandis que les noirs jouent à la défensive. Ici, les rôles sont inversés et les noirs mènent la danse. Pour quelqu'un qui aime les échecs, ce roman est intéressant car le lecteur est amené à jouer une vraie partie avec une stratégie à anticiper, des coups à penser. Plusieurs fois l'échiquier est dessiné avec, dessus, la position exacte des pièces. Il est donc simple de s'y référer pour comprendre les explications de Munoz. Toute l'attention autour du jeu est intéressante mais elle est en plus soulignée par un second aspect. Là où dans le Huit, on nous en apprend plus sur l'invention des échecs, les manoeuvres des joueurs et les ouvertures, Le tableau du maître Flamand, par la personnalité de Munoz, nous fait plonger dans la personnalité des joueurs et leur psychologie.

Je dois admettre que j'ai rarement lu de romans dans lequel la personnalité des protagonistes principaux est si équilibrée. C'en est presque magique. Julia est une femme intelligente et indépendante mais jamais écrasante. Jamais elle ne nous envoie de faux messages à la face, elle est mesurée, pondérée et calme. Même si elle se montre courageuse envers tout ce qui lui arrive, elle n'est pas exceptionnelle au point de ne pas avoir peur et en même temps n'est jamais la demoiselle en détresse à secourir. J'ai immédiatement accroché avec son personnage et l'ambiance de son studio même si elle fume beaucoup trop. Julia est un personnage qui a sa propre personnalité mais sans jamais être "trop". Il est facile d'éprouver de l'empathie pour elle, de l'apprécier et de s'identifier à elle.
A côté de Julia nous avons César, un homme d'une soixantaine d'année, homosexuel un peu dandy sur les bords qui est une sorte de père de substitution pour Julia. C'est un personnage extravagant avec une très forte personnalité et attachant par bien des côtés. J'imagine bien Ian McKellen dans le rôle, très élégant et avec une pointe d'humour et de cynisme requis. Même si je trouve assez malsaine la relation qu'il entretient avec Julia, on sent qu'il ferait n'importe quoi pour la protéger. 
Enfin, parmi les protagonistes principaux, il y a Munoz, le joueur d'échec. C'est véritablement un personnage passionnant. Dans la quarantaine, il est terne et effacé, mal fagoté et mal rasé mais dès qu'il parle d'échecs, sa physionomie change et il devient alors quelqu'un d'autre. Brillant joueur d'échecs, il ne gagne pourtant jamais une partie car gagner ne l'intéresse pas. Il préfère montrer aux autres les coups à jouer et se perd dans sa propre imagination.
Les trois personnages se répondent parfaitement, les personnalités s'équilibrent, chacun occupe sa place propre sans déborder sur celle des autres. On sent un vrai travail sur les personnages, leur psychologie, leur profondeur aussi. Cela conforte l'idée d'un roman murement réfléchi et maîtrisé. Peut-être un peu trop?

Même si je lui reconnais toutes ces qualités, il n'en reste pas moins que Le tableau du maître flamand conserve quelques défauts. 
Je l'admets, j'ai lu ce roman en VF et non en espagnol. De ce fait je ne sais pas si ma remarque tient véritablement à l'écriture voulue par Arturo Pérez-Reverte ou à la traduction. Je penche cependant fermement pour l'écriture de l'auteur. Je sais qu'il a écrit les aventures du capitaine Alatriste sûrement dans un style bien différent et s'il y a bien une chose que j'apprécie c'est la capacité d'un auteur à changer de style pour mieux servir son propos. Pierre Pevel par exemple y arrive très bien. 
Cependant, dans le cas présent, je pense que Pérez-Reverte a voulu en faire un peu trop. Le premier chapitre est terriblement ampoulé et bavard. Les descriptions des sentiments de Julia sont interminables et on a même du mal à différentier les pensées du personnages principal des vraies lignes de dialogue. Cet effet s'atténue cependant assez vite. Pris dans l'intrigue, le lecteur fait moins attention à ce style un peu lourd. Malheureusement il nous revient en pleine face pour les deux derniers chapitres. Il faut être doté d'un cerveau pour comprendre l'intrigue, compliquée par bien des aspects, et sincèrement, la fin a été pour moi complètement gâchée par ce style d'une lourdeur effrayante qui appesantit ce qui n'avait pas lieu d'être. J'estime que le dénouement se doit d'être limpide, pour que l'on comprenne les motivations des protagonistes. Ici nous sommes perdus dans un ensemble verbeux indigeste. J'en suis la première désolée parce que l'auteur a su faire preuve de plus de légèreté pendant les autres 80% du roman mais clairement la fin rejoint le début dans un verbiage inutile. 

Au-delà du problème du style, il y a également pour moi un problème dans la narration. Le mystère du tableau est résolu dans le premier tiers du roman et par la même occasion l'action se transfère du mystère du tableau vers la partie d'échecs dans la vraie vie. Je trouve cependant que le tableau et ses personnages sont trop vite abandonnés, surtout pour un roman dont le titre parle clairement du tableau. Pourquoi ne pas avoir nommé le roman La partie d'échec dans ce cas? Cela induit le lecteur à penser que les deux mystères: celui du meurtre du chevalier et de la partie d'échecs sont liés alors que non. Je persiste à penser que les deux mystères auraient pu être mené de façon parallèle afin de maintenir un suspens. De plus, les explications concernant la mort du chevalier sont un peu décevantes au regard du temps passé par l'auteur à construire le tableau, son histoire et les personnages qu'on ne connait pas. On finit par éprouver, comme Julia, beaucoup d'empathie pour Ferdinand, Roger et Béatrice et je trouve un peu triste la mise de côté de ces personnages, alors même qu'ils reviennent, tels des fantômes, hanter les deux dernières pages sans que l'on sache vraiment pourquoi. L'abandon de cette ligne de l'intrigue est une déception, j'aurai aimé une exploration plus profonde du duché d'Ostenbourg et du peintre Van Huys.

Je pense enfin que ce n'est pas un vrai roman policier dans tous les sens du terme. Le fait que l'on perde de vue le tableau dans le premier tiers du roman est en soi un problème. De même, il y a finalement peu de meurtres et peu de personnages. Il n'y a pas de course-poursuites haletantes - même si je reconnais que ça ne fait pas un bon polar - et cela induit finalement l'idée que les protagonistes ne sont pas vraiment en danger. Je ne me suis pas sentie impliquée à fond dans l'histoire des meurtres. Le meurtrier est aussi facile à trouver si on se pose cinq minutes les bonnes questions. Du coup, sans que cela soit finalement un véritable défaut, je pense que le côté "polar" du Tableau du maître flamand est finalement un élément bien secondaire de l'intrigue par rapport au jeu d'échecs et à la psychologie des joueurs. 

Un excellent roman malgré quelques défauts. Cependant je ne le recommanderai certainement pas à tout le monde. Un public averti, qui aime les échecs et les récits un peu complexe, trouvera sûrement son plaisir dans le Tableau du maître flamand. Pour les autres, je conseille plutôt un polar plus léger ou Le Huit, plus "historique" et entraînant.