mercredi 22 janvier 2014

Et si on se mettait à la BD? Episode 6: Blacksad


COUP DE COEUR DE PERSEPHONE 



"Il y a des matins où l'on a du mal à digérer son petit-déjeuner. Surtout si on se retrouve devant le cadavre d'un ancien amour." Tout le cynisme et le calme de Blacksad dès l'ouverture de la BD. Aujourd'hui pour ce sixième numéro de "Et si on se mettait à la BD?" je vous propose de découvrir la série policière et animalière de Juan Diaz Canales et de Juanjo Guarnido. Bien que tous deux espagnols, Blacksad est avant tout une BD rédigée en français. Ouais, Cocorico. 

Il est assez peu étonnant que cette série soit un véritable carton. Il suffit de se pencher un peu sur la personnalité des deux auteurs pour se rendre compte que la qualité sera forcément au rendez-vous. Voyez-vous, ce qui fait la réussite de Blacksad est sans aucun doute le dessin animalier extrêmement expressif de Juanjo Guarnido - ma nouvelle idole. Juanjo Guarnido et Juan Diaz Canales sont tous deux issus du monde de l'animation. Ils se sont d'abord rencontrés chez Lapiz Azul, studio d'animation espagnol. Juanjo Guarnido travailla ensuite au Studio Walt Disney de Montreuil tandis que Juan Diaz Canales fonda sa propre société d'animation. Rien que ça...oui madame, oui monsieur. Les auteurs de Blacksad et l'animation c'est une longue histoire d'amour. 
 
Rien de plus facile dès lors, de comprendre pourquoi le dessin de Blacksad est d'une expressivité folle. On ressent parfaitement tout ce qui fait les prémices d'un grand dessin animé Disney. La Bête par exemple aurait tout à fait eu sa place dans la BD et ses expressions de colère ne sont pas sans rappeler celle du chat blasé. Vous l'aurez compris, avant même de découvrir les scénarii de Juan Diaz Canales, Guarnido m'avait totalement conquise par la beauté de ses dessins.
Le monde animalier représenté dans Blacksad est à couper le souffle. Non seulement le jeu sur les expressions est diversifié et particulièrement crédible, l'humanisation des personnages est, dès lors, extrême mais les animaux sont aussi choisi en fonction de la personnalité du personnage qu'ils représentent. Guardino et Canales tombent de fait, toujours justes. Smirnov, l'inspecteur de police calme mais efficace est un berger allemand, tandis que Weekly, journaleux à l'hygiène corporelle incertaine mais sympa au demeurant est une fouine. Ainsi, si le héros est un chat noir au museau blanc, ce n'est pas un hasard. John Blacksad, détective privé un rien blasé, correspond à la fois à l'archétype du privé américain des années 50 et au chat de gouttière qu'il est. D'un animal à l'autre se dégage un caractère propre que l'on ne retrouve pas forcément chez tous les membres d'une même espèce. Ainsi, deux chiens pourront véritablement être dissemblables tant physiquement que psychologiquement. Comme les humains, chaque animal de Blacksad est unique. Je me demande quel animal je serai si j'étais dans la BD du coup...



A côté des dessins, ce sont également les histoires qui ont su me captiver. Blacksad est une ode aux romans noirs des années 50, avec son détective en imper pourri, cynique et mal luné, riche en demoiselles sexy et aux gros bras qui n'ont pas des têtes de porte-bonheur. Cet aspect romans noirs est renforcé par l'utilisation de la voix-off, celle de John Blacksad, qui nous plonge immédiatement dans l'ambiance. Les réparties cinglantes au franc parlé que n'aurait pas renié Audiard, conjugué à la virulente critique de la société américaine d'époque, tout est là pour séduire le lecteur.
Chaque tome - la série en compte actuellement 5 - aborde un sujet précis, thème relié par les couvertures et les couleurs qui prédominent dans l'album. Femmes battues, racisme, jalousie, communisme et nazisme, Blacksad sait se renouveler à chaque tome.

Le personnage principal est également une source de réjouissance. J'adore son côté vilain matou un peu blasé, qui s'ennuie continuellement mais qui sait être efficace. Charmeur à ses heures perdues, il se détend au contact de Weekly, la fouine malodorante mais gentille qui lui file un coup de main sur ses enquêtes. Hormis quelques personnages que l'on retrouve d'un album à l'autre, les personnages secondaires changent et sont multiples ce qui permet aux auteurs de continuellement faire preuve d'inventivité.

Résumé du tome 1 Quelque part entre les ombres (BD Gest'): Par un moche matin couleur sépia, Blacksad, détective privé de son état - ou ''fouille-merde'' selon certains - est appelé par le flic Smirnov pour reconnaître un cadavre. Il reconnaît : c'est Natalia Wilford, une actrice avec qui il a vécu jadis la plus heureuse époque de sa vie. En bon flic, Smirnov lui conseille de garder le museau hors de cette affaire. En bon fouille-merde, Blacksad ne suit pas ce conseil avisé : un salaud a tué une femme et, par la même occasion, ses meilleurs souvenirs. Il va payer.

Ce premier tome nous introduit dans l'univers du détective privé. C'est sans doute celui qui ressemble le plus aux romans noirs américains. Il y a un petit côté Dahlia noir dans cette première enquête je trouve notamment parce que la victime est une célèbre actrice. Dans cet album nous faisons la connaissance de Smirnov et de Weekly, deux des personnages récurrents de la série. Si l'intrigue est simple, l'ensemble est efficace et prenant. Les dessins sont sublimes et le lecteur rentre immédiatement dans l'univers. Une introduction sobre mais parfaitement équilibrée qui ne peut que vous rendre accro. 

Le second tome Artic Nation traite, comme le sous-entend sa couverture blanche et noire de racisme. Balcksad, avec son corps noir et son museau blanc a étrangement un pied dans les deux univers. 

Résumé (BD Gest') : Oldsmill, le maître de la ville, est un tigre blanc. Karup, le chef de la police, un ours blanc. Huk, l'âme damnée de Karup, un renard blanc. Avec les autres animaux à pelage immaculé, ils forment la société WASP (W pour White, AS pour Anglo-Saxon, P pour Protestant). Tous les autres habitants, de la pie noire au renard brun-roux en passant par le chat tacheté et la biche châtain, ne sont que racaille. Et si la police n'est pas capable de maintenir l'ordre des blancs, les gros bras d'Arctic-Nation, le parti raciste, cagoulés et vêtus de robes blanches, s'en chargent sans états d'âme. Ils ont les cordes et les croix enflammées qu'il faut. Dans cette ambiance pas câline, câline, Blacksad, le chat détective privé, enquête sur la disparition d'une enfant de couleur. La mère de Kyle, Dinah, travaillait comme femme de ménage chez le même Karup et, selon quelques bonnes âmes, serait au mieux avec le fils Oldsmill. Un vrai noeud de vipères dans lequel Blacksad plonge les pattes et joue au justicier prompt à griffer si nécessaire. Son seul appui, le reporter d'un magazine à scandale Weekly. Un fouille-merde qui sera utile à John. Vaut mieux. Coups bas et coups tordus vont pleuvoir comme à Gravelotte.

Artic nation est l'album que j'ai sans doute le plus aimé de la série. De l'idée du racisme animalier - le blanc dominant encore les autres couleurs - à l'intrigue tout en rebondissement, tout m'a plu. Après une ouverture fracassante, on sent que l'album ira loin dans le questionnement sur l'Amérique du KKK, reproduction quasi exacte de notre propre Histoire.
John Blacksad apparait d'autant plus déterminé qu'il se bat pour retrouver une fillette disparue. Son engagement est touchant et l'on suit - parfois avec horreur - la progression du privé dans une ville gangrénée par la folie blanche. Loin de donner une impression de déjà vu ou d'une morale convenue, Artic nation étonne par ses rebondissements, jusqu'à la dernière planche. 
Le dessin est encore une fois l'une des grandes forces de la série, un soucis du détail qui ne manquera pas d'en impressionner plus d'un. 

Avec leur troisième opus, Âme rouge, Canales et Guarnido nous introduisent dans le Maccarthisme. L'occasion aussi pour John Blacksad, de découvrir le passé d'un de ses vieux amis et de vivre une histoire aussi belle qu'éphémère avec une belle intellectuelle.

Résumé (BD Gest'): John Blacksad s’ennuie dans son nouveau rôle de garde du corps d’un parvenu flambeur. Heureusement, on peut toujours compter sur le destin qui vous met dans les pattes de vieilles connaissances pour vous sortir du ronronnement du quotidien et de nouvelles rencontres pour éviter de vous empâter. En cette période de guerre froide, certains ont tendance à voir rouge et l’atome a des odeurs de soufre.   

J'ai aussi beaucoup aimé Âme rouge, non seulement à cause de l'époque qu'il évoque, la chasse des communistes aux Etats-Unis mais aussi les restes de la seconde guerre mondiale. Dans ce groupe d'intellectuels de gauche, les personnalités sont aussi complexes que fascinantes et ce n'est pas sans y perdre des plumes que John Balcksad se frottera à eux. L'histoire d'amour de Blacksad a aussi su m'émouvoir même si ce que j'ai préféré est bien sûr le contexte de l'intrigue. 
On ne manquera pas de reconnaitre également certains personnages historiques, ici animalisés, comme Hitler en chat - sans doute un clin d'oeil à Maus d'Art Spiegelman - ou MacCarthy lui-même en coq. 

L'enfer, le Silence, nous transporte dans la Nouvelle Orléans pour un album hommage à la ville et au jazz. 

Résumé; (BD Gest'): Le plus félin des détectives débarque à la Nouvelle Orléans. La faute à l'ami Weekly, qui, envoyé par le What's News faire un reportage sur le blues, lui a "dégoté" une affaire : retrouver la trace de Sebastian Fletcher, un pianiste de jazz surdoué mais héroïnomane, disparu en laissant derrière lui sa femme enceinte. Faust Lachapelle, son producteur et mécène, s'en inquiète, d'autant que, malade et voyant lui-même la mort approcher, il souhaite "tout laisser en ordre" avant le grand départ. Pour Weekly, c’est l'occasion de passer du bon temps à Big Easy. Pour Blacksad, c'est une sale affaire de plus qui commence, et les choses sont bien plus compliquées...

Changement de ton pour ce quatrième volume. L'action se déroule sur une nuit, une nuit sombre où Blacksad est transporté dans le monde du jazz et de la drogue dans une Nouvelle Orléans musicalement perturbée. Construit sur une succession de flashback et de scènes du présent, l'ensemble est original. Un album très sombre sur les secrets du passé qu'il faut lire d'une traite. 

Amarillo est le dernier opus en date. Plus léger que le précédent, John Blacksad nous emmène dans un road trip dans l'Amérique des beatnik. 

Résumé: (BD Gest'): Weekly doit quitter La Nouvelle-Orléans ; il y laisse John qui préfère rester pour chercher du travail sur place. Par chance, celui-ci croise justement un riche Texan qui lui propose de ramener sa voiture chez lui : un boulot simple et bien payé ! John accepte, mais, dans une station-service, il se fait voler la voiture par Chad Lowell et Abe Greenberg deux écrivains beatniks qui cherchent à rejoindre Amarillo, au Texas. Bientôt, une querelle entre les deux hommes, rivaux, vire au drame : Chad, poussé à bout, tire sur Abe qui meurt sur le coup. Obligé de fuir, Chad trouve refuge dans un cirque. John se lance à sa poursuite sur les routes américaines du Nouveau-Mexique, du Colorado, du Texas et de l'Illinois.

Album qu'il me reste encore à découvrir, je suis déjà fascinée par la couverture jaune, synonyme pour moi de plus d'humour et de légèreté que l'oppression de la Nouvelle Orléans et du vaudou.

Une excellente série au dessin sublime et à l'ambiance envoûtante à découvrir de toute urgence.

1. Quelque part entre les ombres 
2. Artic Nation
3. Âme rouge
4. L'enfer, le silence
5. Amarillo

Hors-série
Blacksad, les dessous de l'enquête (making off)
L'Histoire des aquarelles (Âme rouge)
L'Histoire des aquarelles (L'enfer, le silence)

6 commentaires:

trillian a dit…

je les ai souvent croisé sans m'y arrêter mais ta présentation me donne très envie de m'y mettre

Perséphone a dit…

Tu devrais! C'est une série chouchou!

Karine:) a dit…

Blacksad et moi, c'est une grande histoire d'amour! Je viens justement de recevoir le premier tome et j'en suis ravie!

Perséphone a dit…

Bonne histoire d'amour alors! ;-)

Kusa a dit…

Oh j'avais raté, un article sur Blacksad, la meilleur chose qui me soit arrivée en BD depuis... depuis quelques années XD. J'adore aussi l'unicité de chaque tome, qui colle au sujet... j'ai trouvé le dernier plus "léger", plus solaire, mais ça colle avec l'ambiance "Sur la Route" ♥

Perséphone a dit…

@Kusa: Et bien le voila! Je n'ai toujours pas lu le dernier, il faut que je me bouge les jambons!

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