Présentation de l'éditeur: Gare de Philadelphie, 1923. La jeune Hattie arrive de Géorgie en
compagnie de sa mère et de ses sœurs pour fuir le Sud rural et la
ségrégation. Aspirant à une vie nouvelle, forte de l'énergie de ses
seize ans, Hattie épouse August. Au fil des années, cinq fils, six
filles et une petite-fille naîtront de ce mariage. Douze enfants, douze
tribus qui égrèneront leur parcours au fil de l’histoire américaine du
XXe siècle. Cette famille se dévoile peu à peu à travers l'existence de
ces fils et de ces filles marqués chacun à leur manière par le fort
tempérament d'Hattie, sa froide combativité et ses secrètes failles.
Je l'avais repéré depuis Noël et sans savoir pourquoi, au départ je ne pensais pas qu'il s'agissait d'une histoire de famille. Une relecture attentive m'appris que "douze tribus" était pour les enfants et petits enfants d'Hattie et les commentaires élogieux que j'avais entendu sur le roman m'incitèrent fort à m'y intéresser d'avantage. Si j'ai mis un peu de temps à le lire, c'est parce qu'il est incroyablement dense et fort. Mon esprit avait besoin de petites pauses afin de mieux digérer les informations que l'auteure dispensait sur sa tribu.
En ouvrant Les douze tribus d'Hattie, je m'attendais au récit d'une famille sur fond de lutte pour les civil rights movement. C'était procéder là à une déduction rapide qui aurait sûrement fait dresser les cheveux sur la tête de Sherlock Holmes. Comme quoi, j'ai pu accumuler des tas de préjugés sur ce roman avant de le lire.
J'ai adoré la construction du livre. En effet, pas de récit linéaire ici avec un début, un milieu et une fin. Ayana Mathis se montre bien plus maligne et donne à son roman une tout autre envergure. À chaque chapitre nous avançons dans le temps tout en suivant un ou deux membres différents de la famille: Philadelphia et Jubilee puis Floyd, Six, Ruthie, Ella, Alice et Billups, Franklin, Bell, Cassie et Sala. Je me suis laissée emporter par ces différents chapitres qui n'ont pas toujours de liens entre eux, bien plus facilement que si elle nous avait raconté l'histoire entière de la famille Sheperd de A à Z. Le lecteur doit alors recomposer les destins croisés des personnages, accepter aussi les non-dits et les trous que l'on peut combler de temps en temps au détour d'une page, d'une ligne, d'un mot. J'ai trouvé ça très agréable finalement cette absence de récit suivit. C'était différent et bienvenu.
Des années 1920 avec les jumeaux Philadelphia et Jubilee aux années 60 avec Cassie et Sala, c'est un demi-siècle que balaye cette histoire familiale. Pourtant, s'il s'agit bien d'une histoire de famille, le décor et le contexte ne sont pas réellement importants. Bien que l'on parle du pays de Jim Crow, de la différence entre le Nord et le Sud des États-Unis et de ce qui fait la vie des afro-américains de l'époque, il ne s'agit pas pour Ayana Mathis de dresser une fresque de la condition des noirs dans l'Amérique du milieu du siècle dernier à la façon de Kathryn Stockett dans La couleur des sentiments. Bien entendu, cette Histoire est toujours présente en filigrane mais l'auteure s'attache beaucoup plus à ses personnages qu'à un quelconque contexte historique ce qui rend le roman finalement plus abordable à un plus grand nombre.
J'ai adoré voguer d'un univers à l'autre, passant d'un enfant à un adolescent puis trouver le récit d'un jeune adulte avant de me plonger à nouveau dans l'histoire d'un nouveau né mais plus que tout, c'est le portrait d'Hattie que j'ai adoré. Si l'histoire semble se concentrer sur ses enfants et sa petite fille, il s'agit bien en vérité de brosser le portrait de cette femme exceptionnelle qu'est Hattie Sheperd. Jeune fille brisée par la vie, elle se mue en une femme froide et distante, toujours présente bien que peu aimante en apparence. Chaque enfant, qu'il le veuille ou non, est viscéralement lié à sa mère et c'est bien d'elle dont il est question. Que ce soit pour Floyd et ses errances dans le Sud ou Six et sa foi déviante, Bell et sa haine, Cassie et sa folie, tous à leur façon sont liés à Hattie quand bien même cela leur déplaît. C'est une femme extrêmement courageuse qui nous est décrite. Les enfants en veulent à Hattie, sur sa froideur, sa dureté mais finalement, ils peuvent tour à tour se rendre compte que c'est sa façon à elle d'exprimer son amour. Au-delà des apparences, Hattie éprouve énormément d'amour pour ses enfants, elle essaye toujours d'agir pour leur bien quand bien même eux ne le voit pas ainsi.
Les histoires de Ruth et d'Ella m'ont bouleversée profondément, elles sont très puissantes. Celle de Cassie et de Bell également. En règle général c'est aussi le portrait d'une génération de femmes perdues qui se dessine entre les lignes d'Ayana Mathis. Si les récits sont bouleversants, il n'y a néanmoins aucune trace de pathos ou de larmes forcées. Les douze tribus d'Hattie n'est jamais tire-larmes, jamais voyeur mais toujours juste.
Si j'ai adoré l'histoire globale des Douze tribus d'Hattie, c'est aussi l'écriture d'Ayana Mathis qui m'a séduite. Légèrement désuète dans son emploi de certaines expressions, je l'ai trouvé très élégante. Travaillée sans que cela ne gêne la lecture - je trouve que parfois une langue trop travaillée rend difficile une lecture fluide - le style de cette auteure m'a entraînée dans son sillage.
À travers de petits moments de vie de chacun de ses enfants, c'est le portrait d'une femme, belle et forte bien que maintes fois éprouvée par la vie que nous offre Ayana Mathis en la personne d'Hattie Sheperd. Un roman fort qui vous tord l'estomac et parvient à vous broyer le cœur sans aucun pathos ni larme futile. Un petit bijou de premier roman et une auteure à suivre.
2 commentaires:
Je l'ai emprunté à la bibliothèque, ton avis positif est bon signe !
Je pense que tu vas adorer. C'est vraiment un livre fort.
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