mardi 5 novembre 2013

Au bonheur des ogres - La saga Malaussène #1 - Daniel Pennac



COUP DE COEUR DE PERSEPHONE 

Présentation de l'éditeur: Côté famille, maman s'est tirée une fois de plus en m'abandonnant les mômes, et le Petit s'est mis à rêver d'ogres Noël.Côté cœur, tante Julia a été séduite par ma nature de bouc (de bouc émissaire).Côté boulot, la première bombe a explosé au rayon des jouets, cinq minutes après mon passage. La deuxième, quinze jours plus tard, au rayon des pulls, sous mes yeux. Comme j'étais là aussi pour l'explosion de la troisième, ils m'ont tous soupçonné.Pourquoi moi ?Je dois avoir un don...

La tribu Malaussène, je vous en parle depuis un moment. Comme d'habitude je fais tout dans le désordre, du coup je vous ai déjà parlé du tome 2 : La fée carabine, du tome 3 : La petite marchande de prose et du tome 5 : Des chrétiens et des Maures. Où sont passés le tome 1, 4 et 6 ainsi que la pièce de théâtre? Ca...on ne le saura peut-être jamais. En vérité, je les ai tous lu plusieurs fois mais le blog n'a juste eu les traces que de mes relectures.


Donc, après avoir vu le film Au bonheur des ogres il y a deux semaines, je me suis jetée sur mon exemplaire du Bonheur des ogres, le livre, afin de prolonger l'expérience et de retrouver un petit goût de Daniel Pennac bien venu par le froid qui court.

Le bonheur des ogres s'ouvre sur la rencontre du lecteur et du narrateur de ces aventures, j'ai nommé, Benjamin Malaussène. Benjamin ou Ben pour ses proches, est chargé de famille, ce qui signifie surtout que sa maman part explorer le monde avec un amant différent à chaque fois et reviens invariablement "pondre" à Belleville. La fratrie Malaussène se compose donc de Benjamin l'aîné, Louna, Clara (que Benjamin a mise lui-même au monde), Thérèse, Jérémy et du Petit (avec majuscule s'il vous plait). Tous de pères différents de 28 à 4 ans, cette famille pas comme les autres vit en plein Belleville entouré de la famille d'Amar l'algérien et de son fils Haddouch, meilleur pote de Ben.
Au boulot, Benjamin Malaussène est Bouc-émissaire, il se fait engueuler à la place des autres afin que l'entreprise ne perde pas trop d'argent dans des dommages et intérêts de clients mécontents. Ce n'est pas qu'il l'adore ce boulot, c'est qu'il en a besoin.
"Je suis trop bien payé pour ce que je fais et pas assez pour ce que je m'emmerde"
Pour autant, ce boulot il l'a dans la peau, Malaussène c'est un bouc né. Il prend en charge la misère du monde et de sa famille sur le dos. Surtout de sa famille. On ne le répètera jamais assez, ce qui fait le succès de la saga Malaussène tient en trois points: la famille Malaussène, le Belleville cosmopolite des années 80 et le langage de Pennac.
"(Mais qu'est-ce qu'ils ont dans le crâne, les enfants? Et les ados? Qu'est-ce qu'ils ont dans le cigare? Sont-ce seulement ceux de maman qui sont fabriqués sur ce modèle ou sont-ils tous pareil? Qu'on me renseigne, par pitié, n'importe qui, même un pédagogue, qu'on m'explique!)"
La famille Malaussène est multi recomposée, aucun enfant n'est du même père - ils ne les connaissent d'ailleurs pas - maman est une sainte toujours en vadrouille et c'est le gentil Ben qui se tortore les mômes. Au-delà de ça, c'est surtout une famille qui s'aime et qui sait apprécier la différence des autres. Louna est infirmière et amoureuse de Laurent un chirurgien, un véritable amour entre les deux, protagonistes touchants, Laurent s'occupe aussi bien des bobos des membres Malaussène que du chien Julius en pleine crise d'épilepsie. Clara, la deuxième fille, est une ange à la voix douce qui passe son temps l'oeil collé à son appareil et à photographier Belleville qui bouge. Elle photographie aussi le malheur, la misère et l'horreur pour la coincer sur la pellicule, la contrôler et lui donner du sens. Amoureuse de son frère Ben comme Ben est amoureux de sa Clara, la relation - jamais malsaine - qui existe entre eux est très forte. Clara est une sorte de maman rassurante quand Ben est un papa bordélique et légèrement dépressif. Thérèse ensuite, rigide comme la vertu, droite comme la justice et qui lit dans les cartes et l'avenir. Toujours austère Thérèse et toujours raisonnable. Jeremy qui parle comme un charretier, fait des expériences à la noix. C'est l'enfant terrible de la famille, celui qui essaye de faire sauter l'Education nationale et qui baptise les petits frères et soeurs mais qui bizarrement, ne ment jamais à Benjamin. En parlant de nom donné à Jeremy il faudrait parler du Petit à lunettes roses, le dernier né de la famille qui ne peut pas vivre sans les histoires que lui raconte Benjamin avant de s'endormir.
Sous ses dehors bordéliques et foutoirs, la famille Malaussène est extrêmement unie, en toute circonstance. Rassemblée le soir autour de Ben qui raconte les aventures de Jib la Hyène et Pat les pattes, Thérèse sténographiant le tout, il y a un ciment qu'on leur envie. Malgré les bombes, les ogres Noël et les fins de mois difficiles au dessus de l'ancienne quincaillerie.
""Louna est arrivée à terme": pudique optimisme pour désigner ce qui en fait le début de nouvelles catastrophes. Parce que des jumeaux, ne nous leurrons pas, c'est deux bouches de plus à nourrir, quatre oreilles à distraire, une vingtaine de doigts à surveiller, et des états d'âme en pagaille à éponger, encore et encore!"
Ce qui fait écho à cette famille heureuse et chaleureuse est la décontraction avec laquelle Benjamin Malaussène et les siens envisagent leur vie dans le Belleville des années 90. Cosmopolite et décomplexé, l'entourage des Malaussène est bigarré: la famille d'Amar l'algérien avec Haddouch l'ami fidèle et la femme d'Amar qui a servit de mère quand celle des Malaussène est en vadrouille. Mo le Mossi et Simon le Kabyle que l'on découvrira plus tard, protègent la tribu mais Belleville c'est aussi Théo, le vendeur collègue de Ben, homosexuel bien dans ses costumes colorés qui se prend en photo pour l'album du Petit. C'est lui aussi qui une fois par semaine va donner à manger à ses copines brésiliennes au bois de Boulogne. Incongrue, cette soirée où les Malaussène partage leur repas avec un Théo en forme, des travestis brésiliens qui se font lire les lignes de la main par Thérèse, une Tante Julia hallucinée et un Petit ravi.

Ce que j'aime avant tout dans cette description de Belleville et des cultures qui s'y mélange, c'est que, jamais chez Pennac, j'ai l'impression de recevoir une leçon de morale. Bien sûr qu'il traite avec brio du racisme, du sexisme, de l'homosexualité et même de l'avortement mais sans jamais poser le lecteur dans un statut de "méchant à éduquer". C'est une caractéristique que l'on retrouve beaucoup trop souvent en littérature ou au cinéma lorsqu'on nous abreuve d'un message moralisateur pré-mâché qui vise à culpabiliser le lecteur et le spectateur sans jamais élever le débat ou apporter un point de vue intéressant. Avec Pennac, on vit cette expérience à travers les yeux de Benjamin, avec son vécu, son expérience et son époque. C'est joyeusement délirant et ses commentaires sur l'ère communiste via son ami Stojil, sont le reflet d'un passé que beaucoup de lecteurs n'ont pas vécu, moi notamment. Pennac aborde à la façon de Marie-Aude Murail, de nombreux sujets avec une pertinence folle.

Tout cela ne serait rien, bien évidemment, sans la plume de Pennac qui est sûrement ce que j'aime le plus dans cet univers. Jamais langue de bois, assez brut mais aussi lyrique - laissez Benjamin vous parler de Tante Julia pour voir - le phrasé de Benjamain Malaussène n'est pas de celui que l'on oublie.
"(Yahvé, Jésus, Bouddah, Allah, Lénine, Machin et les autres....qu'est-ce que je vous ai fait?)"
Il y a une oralité naturelle dans l'écriture à la première personne des aventures de Ben sans jamais atteindre le niveau de Zazie dans le métro qui semble plus forcé et plus construit, là où Daniel Pennac se contente de laisser filer sa plume et sa verve naturelle. Et puis...et puis...à travers Benjamin Malaussène c'est Pennac l'auteur que l'on sent affleurer parfois. Son amour pour le Brésil qui transpire par l'utilisation du portugais mais aussi les travestis brésiliens et les coutumes que l'ancien professeur connait bien. C'est aussi son métier de l'on retrouve dans ces lignes au détour d'une page:
"Ainsi se poursuit notre promenade, Clara photographiant, moi disséquant pour elle le sonnet sublime, elle me jetant des regards éblouis, et moi pensant, comme le Cassidy de Crosby, que si j'étais prof j'aimerais ce métier pour toutes sortes de mauvaises raisons, dont mon goût immodéré pour cette admiration naïve". 
Pour parler enfin du Bonheur des ogres en lui même, j'ai été frappée, en relisant le roman, par la violence du polar et sa critique acerbe sur notre société qui est toujours vive mais jamais noire ni dénuée d'espoir. Les bombes sont visuellement choquante dans leur explosion par le détail de l'écriture de même que le thème sous-jacent abordé - à savoir des sacrifices d'enfants durant la guerre par une bande d'ostrogoth qui se croyaient au-dessus des lois - est particulièrement vomitif. L'intrigue est assez brouillonne, on alterne facilement entre l'histoire du magasin, celle de la famille Malaussène (qui tient une place conséquente dans le roman) et de Tante Julia et Ben. En fait, tout est imbriqué, tout ce fait écho ce qui peut laisser une impression désordonnée mais qui permet à l'intrigue de s'épanouir doucement, de prendre son temps pour faire monter l'horreur en crescendo. A travers Ben et son entourage, Pennac évoque aussi les dérives d'une société qui ne maîtrise plus bien ce qu'elle engendre ou au contraire cherche à trop vouloir encadrer parfois.

Au bonheur des ogres malgré l'humour omniprésent et le langage oral de l'auteur, n'est pas un livre pour enfant. Pour adolescent à la rigueur mais c'est un roman qui sous couvert de divertissement fait réfléchir son lecteur et l'entraîne dans une cohue comparable à celle qui règne dans les allées du magasin. Comme Denise Baudu du Bonheur des Dames le lecteur se retrouve secoué par cette foule et cette folie ambiante.

Un de mes romans préférés que je recommande ABSOLUMENT! 

2 commentaires:

Titine a dit…

J'ai follement envie de le lire, je trouve l'idée du bouc-émissaire absolument géniale !

Perséphone a dit…

C'est génial! N'hésite plus!

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